Chapitre 2

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Gardien des ombres

Je suis allongée dans mon lit, incapable de trouver le sommeil malgré mes incessants changements de position. Les souvenirs de la soirée me hantent, chaque image est gravée dans mon esprit comme une brûlure. Mon cœur bat encore la chamade, et chaque ombre projetée par les lumières de la rue semble contenir une menace cachée. Je sens encore leurs regards avides sur moi, le goût amer de la peur dans ma bouche. Les derniers événements tournent sans cesse dans ma tête, me laissant à la fois épuisée et anxieuse. J'ai couru comme jamais auparavant, poussée par l'instinct de survie qui m'animait. La pluie battante, telle une douche froide, s'est mise à tomber brusquement dès que je me suis retrouvé devant chez moi. Les gouttes d'eau, aussi épaisses que des perles, dégoulinaient le long de mon visage, me donnait l'illusion d'une transpiration abondante. Je m'étais empressée d'entrer, espérant trouver la sensation d'être en sécurité dans mon foyer. A présent la pluie s'est transformée en une fine bruine, tapotant doucement contre la fenêtre de ma chambre. Le son apaisant de l'eau qui coule aurait pu me calmer en temps normal, mais ce soir, il ne faisait qu'amplifier mon malaise.

- T'es là ?

Ma porte entrouverte s'ouvre en grand sur Victoire, ma sœur ainée.

- Comme tu peux le voir.

Elle vient s'installer près de moi, se glissant sous mes draps. Victoire pose une main rassurante sur mon épaule, ses yeux pleins de remords et de tendresse.

- Je suis désolée, j'aurais dû te ramener.

Les regrets viennent toujours après. C'est bien connu.

- Ce n'est rien, Vic. T'inquiète. Je vais bien.

- Non, t'aurais pu finir comme ces deux gars qui passe au journal. C'est horrible, rien que d'imaginer, je m'en veux de fou.

J'arque un sourcil, perplexe. Comment ça ? Avant que je puisse poser la moindre question, elle me tend son téléphone. Intriguée, je prends l'appareil et parcours rapidement l'article qui vient d'être publié il y a à peine dix minutes. « Deux corps retrouvés, ils ne sont pas identifiables pour le moment. » Les mots en gras attirent mon attention, et je m'abstiens de lire les détails, sachant pertinemment que je n'ai pas besoin de connaître les horreurs qui se cachent derrière ces quelques mots. Mèrda, j'ai été témoin d'un début d'assassinat !

- Disordine.

Je rends le téléphone à mon interlocutrice. Une multitude de questions se bousculent dans ma tête, mais je n'ose pas les formuler à voix haute. Le silence s'installe, lourd de sous-entendus et d'incertitudes. Nous restons là, toute les deux, perdus dans nos pensées. Les mots "deux corps retrouvés" résonnent encore dans ma tête, comme un écho sombre et inquiétant. C'était eux ou moi... ?

- Vous faîtes une soirée pyjama partie sans m'inviter ?

Nos regards se tournent simultanément vers la cadette, Gloire.

- Entre.

Elle s'approche de nous et, sans un mot, se retrouve prise entre Vic et moi. Gloire fronce les sourcils, ses lèvres se pinçant en une ligne dure.

- Vous tirez une de ces têtes, vous me racontez ?

- J'ai merdée, Glo. Elle me prenait tellement la tête que j'ai fini par lui dire de descendre de la bagnole, de rentrer à pied...

Victoire raconte que j'aurais pu être à la une de cet article, par sa faute. Mais je sais que je porte également ma part de responsabilité. Je les écoute plus. Les mots se bousculent dans ma tête, mais je reste silencieuse, me demandant si je devrais révéler ce que j'ai vu. Après avoir pesé le pour et le contre, je prends une profonde inspiration et je décide de me confier à mes sœurs.

- Ces deux hommes voulaient me violer.

Les yeux de mes sœurs s'élargissent, révélant l'horreur et l'incompréhension qui les envahissent. Gloire, choquée par mes mots, serre les poings et laisse échapper un murmure empreint de colère. Victoire, quant à elle, reste silencieuse, mais son visage exprime une combinaison de chagrin et de culpabilité. Je n'arrange pas la chose quand je décide de tout raconter. Ma voix tremble légèrement alors que je partage ma soirée avec elles.

- Quelle idée de t'être aventurée dans une ruelle, seule qui plus est ! Pour ta première soirée en plus...

Il y avait mieux comme découverte du monde extérieur... Je me suis guidée des plans qui se trouvaient sur mon chemin... Des noms de rues aussi pour retrouver ma maison.

- Nous devons aller à la police. Raconter ce que tu as vécu.

Gloire acquiesce vivement.

- Elle a raison. On peut y aller sur le champ !

- Non ! Je n'ai pas de description physique des trois personnes qui étaient avec moi, ça serait inutile...

- Tu ne fais pas ça pour préserver l'identité de ton gardien des ombres, n'est-ce pas ? Autrement dit, le meurtrier de ces deux imbéciles.

Gardien des ombres... Ça sonne plutôt bien pour cet inconnu. Je secoue la tête de gauche à droite, cherchant à clarifier les choses.

- Non, Vic, ce n'est pas du tout ça. Je voulais simplement que tu ne te sentes pas responsable. Je ne cherche pas à cacher la vérité. Si je suis descendue de la voiture c'est uniquement de ma propre initiative. Si quelque chose de terrible s'était produit, cela aurait été entièrement de ma faute, pas de la tienne.

- Tu es folle de dire des choses pareilles.

Elle réagit en m'envoyant un oreiller en plein visage, exprimant ainsi sa frustration et son désaccord. Je le laisse retomber sur mon lit. Gloire me renvoie un autre en plein dans l'arrière de ma tête.

- Et ça c'est pour avoir pensé qu'on n'est pas assez intimidante.

Je leur ai tout raconté, même mes réflexions. La tension entre nous se dissipait progressivement, laissant place à des éclats de rire libérateurs. C'était l'un de ces rires qui font du bien, qui apaisent l'âme. En fin de compte, nous avons réalisé que l'essentiel était que je sois en vie et en bonne santé. C'est ce que mes sœurs m'ont affirmé avant de s'endormir dans mon lit, trouvant un réconfort dans notre présence mutuelle. Alors que je les observe s'endormir paisiblement, je ressens un profond sentiment de gratitude pour leur soutien inconditionnel. Il est clair qu'avec elles, je peux aller enterrer un cadavre sans crainte. Solidarité féminine, j'imagine ?


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