Chapitre 10

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Novembre

Avec les préparatifs du spectacle, j'ai cessé de me rendre à la salle de sport. Dès le réveil, je me rends sur le campus pour pratiquer mes pas de danse. Dans la pièce aux grands miroirs, je m'entraîne jusqu'à l'essoufflement, en tentant de suivre le conseil de Kyle. Pour ce faire, je me livre corps et âme dans une danse tantôt calme, tantôt plus brutale. Si je devais choisir une pièce pour représenter ma vie, ce serait celle du cygne noir. Parce que c'est un peu ce que j'ai toujours été : le mouton noir de la famille. Celle qui n'est à sa place nulle part, qui a grandi en rêvant de jours meilleurs et en espérant que le bien triomphe sur le mal.

Je repense à cette nuit d'été, il y a deux ans. Celle où j'ai tout perdu. Ma confiance en l'humanité, ma dignité, ainsi que ma plus grande amie. Mon frère a bafoué les liens du sang, ce qui n'était qu'un juste rendu des choses selon lui. Ryan voyait que je tentais de m'émanciper depuis un temps, que je souhaitais m'affranchir de cette vie qui me maintenait prisonnière.

Jusqu'à ce que je rencontre Alexander, je me croyais intouchable. Il s'est avéré qu'il était le fils d'un flic. Mon frère a pris peur, devenant carrément incontrôlable. Ryan avait si peu confiance en moi qu'il était persuadé que j'allais tout déballer sur leurs activités illégales et les faire arrêter, lui et sa bande. Je n'étais pas si naïve, je savais qu'il valait mieux que je tienne ma langue, mais pour me punir de mon écart de conduite, mon frère a tenté de me réduire au silence. Je me suis quand même enfuie. Au fond, j'ai été lâche. J'aurais pu sauver Carmen et des dizaines d'autres femmes. J'ai préféré sauver ma peau.

***

— Il y a longtemps qu'on ne s'est pas vus ! s'exclame Jake au moment où je franchis les portes du Styx pour le service du soir.

— Tu es encore ici, toi ? le charrié-je lorsque j'approche du comptoir où il est assis.

— Je viens tout juste d'arriver, en fait.

— Ah, j'oubliais, on est jeudi. C'est le grand soir !

Je le contourne et prends place derrière le bar. Il effectue un tour de cent quatre-vingts degrés, suivant mon mouvement.

— Ce n'est pas bien de se moquer, dit-il en me tirant la langue

— Avoue que tu fais seulement ce boulot parce que tu adores ça ?

Je dépose mon sac à main sous le bar et récupère un plateau, puis un calepin.

— Je me confesse. Tu as raison.

— Je le savais !

J'adore nos joutes verbales, c'est toujours agréable de discuter avec lui.

— Et tu sais ce que j'aime encore plus ? C'est de voir ton visage quand tu me dévores du regard alors que je danse. C'est grisant.

— Je ne te dévore pas du tout du regard ! répliqué-je, feignant l'indignation en déposant mes affaires.

— Ah non ? Pourtant, c'est l'impression que j'avais la dernière fois et celle d'avant, puis l'autre d'avant.

Son ton est moqueur. Des pattes d'oie se forment au coin de ses yeux alors qu'un sourire ourle ses lèvres.

Je lui donne une tape sur l'épaule pour le gronder.

— Tu devrais apprendre à différencier rêve et réalité.

— Pourquoi ? Ce ne serait pas aussi amusant.

Je roule des yeux, pourtant son sourire me fait fondre.

— Je te sers une bière ou tu es ici juste pour m'emmerder ?

Black Roses- TerminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant