Chapitre 6 : Dénigrement.

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Chapitre 6.3 : Dénigrement.

        — Monsieur Bellamy ! Henri observa le jeune Jules Bellamy sursauter et se redresser rapidement, aussi droit que possible.

— La famille De Villiers ne vous emploie pas pour rester assis à table à discuter ! Il y a des bottes à frotter dans la salle des chaussures, Henri prononça ces mots d'une voix ferme, exprimant son mécontentement.

Le jeune garçon, toujours soucieux de bien faire, se leva rapidement de la grande table de l'office, fit un signe de tête respectueux à Henri, et se hâta vers le couloir pour rejoindre la salle où les chaussures étaient nettoyées, cirées et raccommodées.

— Monsieur Bellamy était en pause, Monsieur Deveau... soupira la gouvernante, elle-même assise à la grande table, penchée sur des documents et des croquis représentant la salle où étaient entreposées les nombreuses œuvres d'art accumulées au cours des décennies.

Henri fit un signe de la main aux autres personnes qui étaient également attablés quelques instants auparavant, pour qu'elles s'asseyent alors qu'elles s'étaient levés rapidement en sa présence, comme le voulait les conventions.

Mais Julia Leclaircie, en le voyant et maintenant en s'adressant à lui, n'avait pas un seul instant levé les yeux de ses papiers, griffonnant dessus en même temps.

— La pause est terminée, répliqua Henri d'un ton sec, jetant un coup d'œil aux autres personnes présentes dans la pièce, en particulier des femmes de chambres cousant des vêtements ou nettoyant des bijoux de la famille De Villiers. Il croisa notamment le regard de Marie Martinet qui, assise aux côtés de Anne Lefebvre, parut embarrassée par cette scène.

Il reporta son attention sur Julia qui, pour une fois, ne tenta pas d'obtenir le dernier mot de leur dispute.

Agacé, Henri tourna les talons et se dirigea vers le couloir adjacent à celui vers lequel s'était dirigé Jules Bellamy. Il rejoignit son bureau, entra, puis ferma la porte derrière lui avec un peu plus de force qu'il n'aurait dû. Mais c'était ainsi, une sorte de colère sourde et à la fois bruyante bouillonnait en lui.

Quand il avait pénétré dans la grande salle principale de l'office, il avait tout de suite vu Julia, son beau visage penché vers diverses feuilles, fronçant légèrement les sourcils, ses cheveux épars s'inclinant également vers l'avant avec grâce.

Ensuite, il avait observé la grande table sur laquelle chaque femme était occupée, travaillant mais discutant également tranquillement, jusqu'à ce qu'il remarque Jules Bellamy, à l'autre bout de la table, à l'opposé de Julia, mais la fixant avec des yeux curieux et intenses. Adorateur ? Désireux peut-être ? Ce n'était certainement pas un comportement convenable... Bien sûr, cette colère inconnue à laquelle il faisait face en ce moment dans son bureau, assis sur sa chaise, les mains croisées, était liée au fait qu'un tel comportement ne pouvait pas être autorisé à Chantilly. Mademoiselle Leclaircie n'avait rien à voir avec tout cela...


— J'apprécie grandement vos idées modernes, Mademoiselle Leclaircie... mais il n'en va pas de même pour Madame La Duchesse. Vous ne pouvez pas changer ses habitudes dans ses propres quartiers sans sa permission. Madame était folle de rage, comprenez vous?

Julia hocha la tête, ses joues s'empourprant d'embarras à l'évocation de Madame La Duchesse de Chantilly se plaignant de l'aménagement qu'elle avait modifié dans la chambre. Elle n'avait fait que déplacer le bureau de quelques centimètres vers la droite pour permettre au soleil de pénétrer plus aisément dans la pièce.

— Je comprends, Monsieur Le Duc, et cela ne se reproduira plus...

— Bien, c'est tout ce que je voulais entendre, Mademoiselle Leclaircie, dit Monsieur le Duc en hochant la tête, une légère grimace contrariée se dessinant sur son visage. Il avait certainement dû supporter les reproches de sa femme concernant ce léger déplacement du meuble dans sa chambre.

— Henri, Monsieur le Duc se tourna vers Henri Deveau qui, bien évidemment, se tenait toujours droit à côté d'elle, les cheveux impeccablement rangés, son costume noir et ses gants blancs serrés en poings le long de son corps. Je compte sur vous, n'est-ce pas?

Julia ne put s'empêcher de grimacer d'horreur, sachant parfaitement qu'à ce moment précis, le jeune majordome jubilait. Il allait désormais épier ses moindres mouvements - comme s'il ne le faisait pas déjà.

— Oui, Votre Seigneurie, répondit il avec cet air hautain qu'elle souhaitait tant effacer de son visage.

— Bien, vous pouvez disposer, conclut le Duc avant de se diriger vers son bureau dans le petit salon de la maison.

Henri Deveau et Julia firent un hochement de tête en salutation respectueuse, avant de se diriger tous les deux vers la porte, la refermant derrière eux une fois dehors.

Seul dans le grand couloir lumineux, orné de vases en marbre blanc et auréolé de décorations en or, Monsieur Deveau et Julia se toisèrent du regard dans un grand silence, comme s'ils attendaient tous deux un signe de faiblesse de l'autre.

Mais après seulement quelques secondes, prise d'un élan contraire et déplacé, Julia s'approcha du jeune homme et posa ses mains sur le devant de sa veste. Certainement très surpris et abasourdi par ce geste soudain, le jeune homme ne put que ouvrir la bouche d'étonnement, ne bougeant pas d'un seul centimètre.

Julia replia correctement le col du majordome, frôlant son cou par inadvertance. Elle put sentir le souffle d'Henri Deveau sur elle, alors qu'il la surplombait clairement. Elle releva les yeux vers lui et une sorte de décharge traversa son être, son ventre se tordit en un tourbillon d'émotions alors qu'elle reculait rapidement, s'éloignant du visage du jeune homme qui avait été si proche du sien.

— Votre col était froissé, un autre lourd silence s'installa dans le couloir toujours aussi lumineux, mais qui semblait s'être assombri quelques instants pour les plonger dans une bulle d'intimité partagée.

— Je vous remercie.

Le majordome se racla la gorge avec embarras, l'observant toujours de ses yeux bleus magnétiques.

— Je vous en prie...

Et alors qu'il semblait, il y avait à peine quelques instants, que le majordome savourait une victoire après la remontrance de Julia en sa présence, il la contemplait maintenant avec des yeux aussi étincelants que lors de leur toute première rencontre. Face à ce silence infini, Julia se tourna, offrant un signe de tête respectueux à Henri Deveau avant de s'éclipser dans le long et éblouissant couloir, sentant son allure et sa démarche scrutées.

 Face à ce silence infini, Julia se tourna, offrant un signe de tête respectueux à Henri Deveau avant de s'éclipser dans le long et éblouissant couloir, sentant son allure et sa démarche scrutées

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« Julia replia correctement le col du majordome, frôlant son cou par inadvertance. »

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