Chapitre 7 : Affolement.

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Chapitre 7.2 : Affolement.

                   — Je m'oppose à cette proposition. Les De Villiers reviennent demain de la saison mondaine, et ils ne souhaiteront certainement pas constater des changements dans l'agencement de leurs meubles.

Henri demeurait inflexible à son bureau, tandis que Mademoiselle Leclaircie, affublée de la robe bleu clair autorisée par le Duc de Villiers, était assise en face de lui. Elle hocha la tête, exprimant silencieusement son agacement et sa colère, une dynamique qu'il connaissait trop bien. La seule fois où elle avait laissé sa rage éclater, c'était lorsqu'il l'avait confrontée il y a quelques mois, à l'extérieur, après son retour tardif d'une destination inconnue. Il en avait été surpris, réalisant qu'une colère profonde bouillonnait en elle, mais qu'elle ne la laissait jamais exploser.

— Il n'est pas question de modifier l'agencement de la maison. Le canapé droit du grand salon présente un défaut depuis avant leur départ ! Je suggère simplement que nous réorganisions l'ordre des canapés pour qu'ils 'oublient' ce petit souci, le temps que nous remplacions ce meuble. Ils n'y verront que du feu ! se défendit la jeune femme avec véhémence, convaincue de détenir la vérité absolue.

Elle l'agaçait au-delà de l'imaginable. Elle avait raison, il le savait. C'était une excellente idée, comme elle en avait eu un bon nombre depuis qu'elle travaillait ici. Son travail était excellent, chaque détail était pris en compte, aucun indice minuscule ne lui échappait : une poussière sur une chaise, une table bancale, une chemise d'un serveur mal ajustée, une tache sur un tapis, rien. Son travail était parfait. Cependant, ils n'avaient pas la même vision des choses : il détestait le changement, tandis qu'elle l'appréciait. Et pourtant, autant Edouard De Villiers trouvait ces changements intéressants et rafraîchissants, autant Marianne De Villiers les détestait, et il était plutôt en accord avec son point de vue. Ce qui ne le réjouissait pas nécessairement.

Henri observa un instant la jeune femme de l'autre côté du bureau. Ses cheveux blonds reflétaient la lumière de la seule lampe à l'huile qu'il avait allumée dans son bureau. La nuit enveloppait depuis un certain temps déjà la pièce et ses occupants. Il regarda autour de lui, se souvenant soudainement avec nostalgie de tous les moments passés dans le bureau de Madame Dubois, désormais celui de Mademoiselle Leclaircie. Aujourd'hui, il n'y allait plus. Toutes les réunions se tenaient dans sa pièce à lui. C'était logique, il était le majordome. Mais à l'époque de Madame Dubois, il appréciait de faire le déplacement pour elle.

— Depuis le XVIIème siècle, personne n'a plus osé toucher à l'agencement des meubles de cette demeure. Il n'est donc pas question de faire ce changement sans demander la permission au duc et à la duchesse. Dois-je réellement vous rappeler ce qu'il s'est passé la dernière fois que vous avez fait un changement, même subtil, sans les consulter ? déclara t-il fermement.

— Pourtant, j'ai du mal à imaginer que le Duc de Chantilly ne serait pas d'accord avec moi. Lui qui a consacré sa vie à restaurer cet endroit malgré les traditions. Il n'a pas hésité une seconde à contrevenir au style de la Renaissance française et italienne instauré ici, en y invitant de nombreux artistes tels que Watteau, qui lui ont peint des œuvres plus modernes les unes que les autres et qui sont exposées ici ! Ne me dites pas que Monsieur De Villiers accorderait une quelconque importance à un fauteuil déplacé sur la gauche. 

Henri ne put s'empêcher d'être ébloui par son intelligence, comme à son habitude. Elle était instruite, il en était sûr depuis le début, lorsqu'elle lui avait coupé la parole avec l'histoire de la course du Prix de Diane.

— Le sujet est clos, Mademoiselle, répondit fermement Henri, les bras croisés.

Julia Leclaircie garda le silence, mais les sourcils froncés et le visage marqué par cette colère souvent dirigée vers lui.

Révérences et Révoltes [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant