Chapitre 69

62 12 10
                                    

24 décembre

— Je... je... bafouilla Chris.

Il ne s'attendait pas à tomber sur Cam sitôt la porte franchie. Il ne s'attendait pas à ce regard inquisiteur, à ce pli contrarié au niveau du front. Il ne s'attendait pas non plus à ce que Cam écarquille les yeux et se précipite vers lui. 

[CerveaudeChris.exe a rencontré un problème et doit redémarrer. 

Que voulez-vous faire ?

Mettre à jour et arrêter. Mettre à jour et redémarrer. Laisser le bug gagner.]

Chris déglutit. Il voulait à la fois fuir et affronter ses peurs. Étouffer l'étincelle ou la transformer en magnifique feu. Montrer ses sentiments à Cam et les cacher à tout jamais. 

Il recula d'un pas. Ferma les yeux.

Il était venu jusqu'ici. Il avait affronté un magasin la veille de Noël. Il n'allait tout de même pas se dégonfler si rapidement ?

— Chris... qu'est-ce qui t'est arrivé ?

La voix alarmée de Cam le percuta et le culpabilisa. Il venait pour récupérer Cam, pas pour l'inquiéter ni se faire plaindre.

Et pourtant, malgré lui, des images importunes lui polluèrent l'esprit. Il se revit avec Côle, dans son studio. Il revit le rictus haineux de l'autre. Il entendit de nouveau ses paroles. Se retrouva encore enfermé. 

— Viens t'asseoir, tu es tout pâle, murmura Cam avant de le saisir par les épaules.

Le jeune homme battit des paupières et suivit docilement son adorable ex-voisin. Ses jambes flageolaient. 

— Je pensais que je serais plus fort, souffla-t-il en s'écroulant sur un fauteuil. Pardon. Je... t'ai envoyé plein de messages. Hier. Ou avant-hier ? Je sais plus. avant, je... pouvais pas. Je suis désolé.

Les mots sortaient, confus. Chris n'essaya pas de les retenir pas plus qu'il n'essaya de les réfléchir.

[C'est pas comme si ça avait une chance de marcher de toute façon.]

— Mon téléphone est resté...

— Chez ta mère. Je sais. On y est allé avec Lizzie. Après le départ de la Team. Pour voir pourquoi tu répondais à personne.

— À personne ? Les autres aussi m'ont appelé ? 

Les lèvres de Cam tremblaient. Sa main glissa sur la table pour trouver celle de Chris, s'arrêta avant que leur peau ne se touche. À mi-voix, Chris l'autorisa à la prendre.

— Ce n'est pas à cause de moi que tu étais mal ? Rassure-moi, s'enquit Cam.

Chris secoua vigoureusement la tête. Essaya de lui expliquer sans parvenir à trouver les bons mots. Finit par lui demander s'il avait une feuille. Cam lui lâcha la main à contrecœur pour aller chercher un bloc-notes et un crayon de papier sur le bar.

Écrire les événements des derniers jours se révéla bien plus facile que de les raconter de vive voix. Au début, la mine gratta le papier trop fort. Le perfora, puis les mots coulèrent d'eux-mêmes. Chris déversa ses émotions en une écriture fine et soignée. Le tout n'était pas ordonné, il écrivait comme ça lui venait sous l'œil sombre de Cam.

Plus la feuille noircissait, plus Cam angoissait. Son pied battait le rythme, ses doigts tambourinaient sur la table. Il arracha presque le papier des mains de Chris lorsque celui-ci annonça avoir fini. 

Chris l'espionna du coin de l'œil. Il regrettait de ne pas avoir pris son cube sensoriel. Il éprouvait un besoin impérieux de triturer quelque chose. Il palpa son ourlet, massa ses paumes et finalement, entortilla le lacet de son pantalon autour de ses doigts. 

— Oh, Chris, se désola Cam, les lèvres blêmes. Je suis tellement désolé. Je suis parti au moment où tu avais le plus besoin de moi...

— Pas ta faute. Tu pouvais pas savoir.

— On ne peut pas rester ici, s'affola soudain Cam. Les clients vont bientôt arriver ! Tu ne peux pas te retrouver au milieu d'une foule. Pas maintenant. Encore moins maintenant !

— Pourquoi... tu prends soin de moi ? Alors que je... n'ai pas pensé à toi un seul moment ces derniers jours...

Cam se leva et vint relever Chris.

— Tu y as suffisamment pensé pour venir jusqu'ici, ça me suffit. Et je prends soin de toi parce que je t'aime, Chris. Je suis amoureux de toi. Je suis parti parce que ça m'a brisé le cœur que tu me vois simplement comme un sex friend. Je pensais que c'était trop pour moi, que j'en avais marre d'attendre pour rien et que te côtoyer amicalement ne pouvait plus me suffire, mais je me suis trompé. Je veux être à tes côtés, te protéger, peu importe notre relation.

Il lui attrapa la manche pour l'entraîner à sa suite à l'extérieur, évitant (et saluant) de justesse une femme seule qui pénétrait dans le restaurant.

— Joyeux Noël, Nadine, vous pourrez dire à mon père que je prends ma soirée !?

— Oooh, joyeux Noël les amoureux ! Je lui transmets ! Il sera ravi de vous savoir réconcilié !

— Nous ne sommes... 

— Merci Madame, souffla Chris en interrompant Cam. Joyeux Noël à vous et au papa de Cam. Je le garde pour ce soir. Cam, pas son papa.

Estomaqué, Cam battit des paupières tandis que Chris prenait la tête de leur duo.

[Forcément, il ne s'attendait pas du tout à cette inversion des rôles ! Et pour une fois, ce n'est pas moi qui buggais, mais lui ! Jusqu'au moment où on est passé sous le beffroi. Je ne sais pas si c'est de passer sur la route, de prendre conscience qu'il m'avait lâché et que je tenais son pull ou de passer « dans un bâtiment », mais ça l'a rebooté.]

— Attends, attends, Chris...

Cam les arrêta sous une rangée de marronniers garnis de guirlandes de Noël. L'air frais soufflait sur leurs jours et ébouriffait les cheveux du jeune homme.

— Non. Tu as pas ton manteau. On parle chez moi. 

[J'avais besoin d'encore un peu de temps pour me décider. Parce que oui, oui, évidemment que je voulais Cam dans ma vie, mais après tout ce qu'il s'est passé, j'avais peur de franchir le pas. J'ai toujours peur, d'ailleurs, alors que j'ai déjà franchi le pas.]

— C'est de ça que je parle, Chris. Tu veux m'emmener chez toi pour Noël.

— Oui.

— Est-ce que... est-ce que tu comprends le message que tu envoies en faisant ça ?

— Oui. 

Un frisson secoua Cam.

[Je ne suis toujours pas certain de la cause. Le froid ? Ce que je disais ? Faudrait que je lui demande, tiens.]

— Et... tu as une petite idée de ce que penseront tes parents ?

— Oui. Ils seront contents que je te ramène à la maison, ils avaient prévu la possibilité de toute façon.

Chris lui adressa un sourire incertain, qui se voulait rassurant, et reprit sa route. Cam le retint une nouvelle fois.

— Oui, mais... je... je viens en tant que quoi ? J'ai besoin de savoir.

Une drôle de sensation serra la poitrine de Chris. Il ne pouvait plus repousser le moment fatidique d'ouvrir son cœur. Celui de prendre une vraie décision.

— Si tu es d'accord, tu viens... en tant que mon petit copain. Mais pour de vrai, cette fois.

Chris, ou comment se prendre pour Cupidon à NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant