Chapitre 45

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8 décembre

Pour la vingtième fois, au moins, Chris relut le compte-rendu épinglé de Lizzie. 

Sans être un franc succès, leur premier live pour l'association avait suscité l'intérêt au point que de nombreux abonnés regrettèrent de ne pas s'être connectés. Sur le tout nouveau tchat Team/Followers créé par Lizzie (et où Chris n'était encore jamais intervenu), beaucoup avaient demandé à pouvoir visionner un replay de ce moment. 

Un évènement était sur toutes les lèvres : le mage, celui qu'on ne voyait jamais à l'écran (ou presque) avait chanté. Et il chantait bien. Presque aussi bien que le "prince" roux qui l'avait sauvé de la foule. 

Chris soupira. Depuis la veille, il voulait croire que cette version "conte de fées" avait une part de vérité. Après tout, c'est ce qu'avait semblé sous-entendre Cam. Sans parler de la Team, qui l'assurait depuis plusieurs jours déjà que Cam craquait pour lui. Et si en plus il ajoutait Ely à l'équation, alors... peut-être... 

Il secoua la tête et se reconcentra. Il n'était pas sorti dans le froid pour penser à Cam. Il était sorti afin d'aller acheter des viennoiseries à la boulangerie en vue d'un rendez-vous romantique Lizzie/Lise pour le goûter. De retour, il leur préparerait une thermos de thé de Noël et se chargerait du vélo de son amie pendant que les deux jeunes femmes iraient flâner dans les rues, main dans la main.

Le cœur serré, Chris se rangea dans la courte file en prenant bien soin de ne toucher personne : c'était pour Cam qu'il aurait aimé préparer ce rendez-vous. Pas qu'il ne prît pas plaisir à jouer les Cupidons pour sa sœur, il adorait ça. Organiser les choses. Les peaufiner. Les maîtriser. Faire que tous les rouages glissent les uns dans les autres à la manière d'un ballet millimétré. 

Et tout ça, il le savait, serait récompensé par le bonheur de Lise. Probablement celui de Lizzie, aussi, même si Chris avait plus de mal à déterminer les émotions de son amie que celles de sa sœur.

[Forcément, j'analysais les comportements et réactions de Lise (et d'Ely, mais c'est un autre sujet), depuis des années. Souvent pour déterminer comment me comporter dans telle ou telle situation, d'autres fois juste par curiosité.]

Chris quitta l'application de tchat et rangea son téléphone dans sa poche. Il écarta Cam de ses pensées pour se focaliser sur un la fin du rapport de Lizzie : le prochain live en collaboration avec l'association aurait lieu samedi dans l'après-midi. Un live-pâtisserie auquel Chris cherchait encore un moyen d'échapper. 

Malgré ce qu'on lui avait promis, se montrer devant tous les viewers ne devenait pas plus facile avec le temps. Au contraire, il angoissait de plus en plus.

[On ne peut pas dire que ça m'étonnait, je subis ce "conseil" depuis l'enfance. Chris, plus tu t'entraîneras à l'oral, mieux ça se passera ! Chris, tu vas voir, tu vas prendre de l'assurance, il suffit de persévérer. Chris, si tu évites la situation, tu ne la maîtriseras jamais, il faut te confronter à ta peur !

Spoiler alert : ça n'a jamais fonctionné, ma peur panique de parler en public a grandi, je n'ai jamais réussi à réciter une poésie correctement et tous les examens oraux ont été des catastrophes.]

Un sourire crispé aux lèvres, il demanda un pain au chocolat blanc pour sa sœur, une croix à la cannelle pour Lizzie et deux croissants pralinés (les deux derniers !) pour lui...

[Pourquoi deux ? Au cas où Cam passe prendre le café avec lui avant d'aller travailler, pardi ! Même si je ne l'avais pas revu depuis la veille, on s'était envoyé quelques messages, sans pour autant reparler des sous-entendus de Cam. 
Ma faute, j'avais trop peur qu'il ait changé d'avis. Et lui, il avait trop peur de me faire fuir.]

... et, après une hésitation, il ajouta deux baguettes de pain et une Vosgienne. Les baguettes pour ses parents, la Vosgienne pour son estomac. Il devait de toute façon passer par la maison pour donner un des sachets à Lise. 

En rentrant, il avisa la jeune voisine de loin, celle qui lui avait donné la lettre pour Cam. Il changea de trottoir et se concentra sur ses pieds. S'il avait eu les mains libres, il aurait remonté son écharpe sur son nez. Il se contenta de compter sur son bonnet pour le soustraire aux regards de la jeune femme. 

Il était tellement concentré qu'il cria presque lorsque quelqu'un lui tapota l'épaule. Un contact bref. Léger. Juste pour attirer son attention. Un contact qui lui sembla pourtant durer et se répéter. 

Il frissonna.

[Un autre truc que je déteste quand on me touche, en particulier quand je n'ai pas le visuel, c'est cette sensation persistante de la main de l'autre sur moi. Comme un contact fantôme qui refuse de se dissiper. Quand je suis avec mes parents ou ma fratrie, je ne me gêne pas pour essayer de "rompre" cette sensation en frottant ma peau. Quand je suis en public, je sais me contenir. Un peu. 
Bon, OK, pas toujours, mais, ce jour-là, j'ai réussi !]

Le cœur battant, Chris fit volte-face, se préparant déjà à affronter la voisine. Il se figea, bouché-bée. Il s'agissait bien "de la voisine", devant lui, mais pas celle à laquelle il s'attendait.

— Bonjour, mon petit Chris, et pardon ! Je ne voulais pas t'effrayer, mais tu ne m'as pas entendu t'appeler ! 
— Bonjour Charlotte, balbutia-t-il.

Charlotte, la voisine de gauche. Plus de quatre-vingt-dix ans de gentillesse, de tendresse et de douceur. 

— Je comptais aller acheter du pain, et puis je t'ai vu, alors avant d'oublier...

Elle lui tendit un sachet de bredalas faits maison, et rien que la vue des sablés pailletés de vermicelles colorés le fit saliver.

— C'est pour toi ! Pas besoin de partager avec ta sœur, elle aura le sien ! Et tes parents aussi !

— Merci, Charlotte. Euh, vous voulez du pain ?

Du menton, Chris indiqua une de ses baguettes avant de préciser qu'il les avait achetées pour ses parents, qui n'étaient pas au courant, donc ça ne leur manquerait pas, et si ça pouvait éviter à Charlotte de rester trop longtemps dans le froid, et puis, aussi, pour la remercier, et...

[Un de mes grands défauts : j'essaie toujours de justifier mes choix, en particulier quand je suis pris de court. Souvent... ça donne n'importe quoi. L'année dernière, à la pharmacie, j'ai réussi à me justifier d'accepter le calendrier que la préparatrice m'offrait. 
Oui, oui. Je me suis lancé dans des explications comme quoi je le trouvais pratique, que les feuillets étaient faciles à détacher et que je pouvais recycler les feuilles ensuite comme brouillon.]

Le sourire de Charlotte éclaboussa son visage ridé. Elle secoua ses boucles blanches comme neige, retint sa main juste avant de la poser sur l'avant-bras du jeune homme.

— Je veux bien, merci mon petit-Chris.

Et, alors qu'elle s'éloignait vers sa porte, la baguette entre les mains, Chris eut une illumination.

— Dites, Charlotte... vous faites quoi samedi après-midi ?

Chris, ou comment se prendre pour Cupidon à NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant