Chris, ou comment se prendre pour Cupidon à Noël

Chapitre 19

29 novembre

L'une des choses que Chris détestait le plus, c'était rester seul dans le noir avec ses pensées. Allongé dans son lit. Incapable de dormir. Et plus il pensait en attendant le sommeil, moins celui-ci daignait venir.

Et ce soir-là, après cette soirée mouvementée, Chris regardait le point lumineux de sa multiprise sans parvenir à rejoindre Morphée. 

Le Stream s'était déroulé sans accroc. Après une hésitation, Lise avait accepté de rejoindre la Team dans son expérimentation des Puppets. Cam aussi, même s'il s'était connecté aux alentours de 20 h 30, une fois libéré de son devoir de baby-sitter.

Chris avait eu envie de l'inviter à venir chez lui, mais il en avait été incapable. Et c'était précisément ce point qui le dérangeait au point de voler son sommeil.

— C'est juste le délire des autres qui me tape sur le système, finit-il par murmurer à voix basse.

Sa voix se répercuta dans la pièce silencieuse et dérangea Chardon qui, lui, dormait comme un bienheureux.

— Quand je veux dormir, tu miaules, et quand je veux de la compagnie tu pionces, hein. Foutu chat, soupira Chris en glissant avec tendresses ses doigts sur le bedon offert. Tu veux pas me dire ce qui cloche chez moi, toi ? Et je parle pas de mon cerveau pas câblé comme les autres, je parle de... moi. Franchement, je suis un crétin influençable. Ils me causent un peu trop de Cam et mon stupide cerveau cavale à mort. 

Le chaton couina et roula sur le ventre avant d'étirer ses pattes, toujours endormi.

— Si j'en parle à Py, il fera une montagne. Tu te rends compte que j'ai écrit un message à Cam pour lui proposer de venir, et que je me suis dégonflé ? Sans aucune raison ?

Il se tut quelques instants, contempla le pelage du chaton qui prenait d'étranges teintes orangées à la lueur de la multiprise.

— Est-ce que j'avais des raisons... est-ce que j'ai envie d'y réfléchir... Chardon, aide-moi au lieu de dormir !

Chris poussa le chaton de l'index, mais celui-ci ne fit qu'émettre un léger ronflement qui tira un sourire attendri à son maître.

[À son esclave. Chardon m'a bien éduqué, même quand je me sens terriblement seul et que j'ai besoin de parler, je suis incapable de réellement le réveiller. Alors j'ai continué de chuchoter mes pensées jusqu'à ne plus pouvoir les supporter.]

— C'est vrai, je n'ai aucune raison. Surtout que je l'ai invité dimanche, déjà... mais là, c'est la nuit. Bon, il est déjà venu en pleine nuit. Mais pas sur invitation, il s'invitait tout seul. Tu crois qu'il réfléchit avant de venir ? Non, non, pourquoi il réfléchirait. Et en même temps, pourquoi il viendrait aussi souvent ?

Chris se rallongea dans son lit et installa le chaton sur son torse pour continuer de malaxer le pelage. Dans son sommeil, Chardon commença à ronronner.

— J'adore quand tu fais ça. C'est relaxant... Bon, qu'est-ce que je te disais. Ha, oui... pourquoi Cam vient tout le temps chez moi, à ton avis ? Même quand il était avec Sandra, il venait. Attends... ça peut pas être moi, son crush, si ? 

Une brusque montée d'angoisse s'empara de Chris. Son cœur se serra, puis accéléré. Ses poumons lui semblèrent soudain plus difficiles à remplir d'air. Le jeune homme se sentit si mal qu'il dût s'asseoir pour reprendre son souffle.

[On pourrait penser que ce moment fut crucial pour moi. Que j'allais enfin ôter mes œillères et accepter que mon voisin hyper sexy était complètement amoureux de moi. Eh bien, non. Pas du tout, même.
Honnêtement, même si avec le recul je vois tous les signaux au vert que Cam m'envoyait, il faut bien admettre que je n'étais pas prêt à les voir. Et que ce n'était pas en seulement trois jours que j'allais accepter à la fois mon attirance pour lui et la sienne pour moi.
Parce que pour ma tête, ça ne faisait que trois jours que le sujet se précisait. 
Bien sûr, Cam n'a pas poppé d'un coup dans les sujets de conversations, c'est juste qu'avant ça, je n'y avais jamais prêté attention.

Ce qui me rappelle cette histoire que ma mère nous a racontée un soir de mai, alors qu'elle pleurait et que Ellie et moi étions venus la voir pour la consoler. Enfin, surtout Ellie, moi, je suivais juste le mouvement pour faire plaisir à notre père.

Nous avions dix ans et ma mère venait de perdre le petit frère que nous aurions du avoir quatre mois plus tard. En larmes, elle nous a raconté que depuis ce jour où son ventre était vide, elle avait l'impression de voir des femmes enceintes et des poussettes absolument partout. Dans la rue, dans les magasins, et même dans les émissions de télé.

Je crois bien que je vivais ce phénomène-là : la magie mystérieuse de la révélation opérait en moi. D'un coup, tout me ramenait à Cam et j'avais une conscience accrue de tous les moments où des personnes l'évoquaient.]

— Non, non, ça ne peut pas être moi. Je suis clairement pas assez intéressant. Et je ne suis pas beau. Il a dit que son crush était jolie. Et puis, il n'est même pas bi... même s'il a plaisanté là-dessus. Est-ce qu'il a vraiment plaisanté ? Et pourquoi je continue de parler à voix haute ? Faut que j'arrête d'y penser. Faut que j'arrête d'y penser. Parce que si j'arrête pas, je vais me faire des films, et, si je me fais des films, je vais tomber amoureux, et si je tombe amoureux, je vais avoir mal. Et je vais tout gâcher entre nous. C'est juste un ami, voilà. Un ami hétéro. En fait... ce n'est même pas un sujet de réflexion. 

Il inspira une longue bouffée d'air, ferma les yeux un moment. Et retrouva son calme. Un calme fragile qui menaçait à tout moment de se briser.

Chris ne pouvait pas retourner sur E&W pour se calmer, il aurait bien trop pensé aux parties en solo avec Cam. Il n'avait pas non plus envie de jouer aux puppets sans sa Team. Il réfléchit un moment avant d'attraper une tablette abandonnée sur sa table de chevet.

— Tu sais quoi, Chardon ? On va se mettre une bonne série netflix et attendre que l'épuisement fasse son job. 

[Et aujourd'hui encore, je n'ai pas trouvé meilleur allié que l'épuisement pour éviter de penser avant de dormir.]