Chapitre 17

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La cérémonie était belle. Les membres de ma famille qui savent que c'est à moi qu'on a demandé de choisir les chansons me complimentent sur les choix que j'ai fait. Je bégaye un peu lorsque je lis le texte qu'on me demande de lire. Si je n'avais pas été là, quelqu'un l'aurait lu pour moi. Une de mes sœurs peut-être. Le dernier enterrement auquel j'ai assisté, j'ai lu également. C'était il y a combien de temps, déjà ? Presque une quinzaine d'années ? Je ne sais plus. Il y a du monde.

Soudain, je me demande comment j'aurais imaginé tout cela si je n'avais pas été présent. Je crois que je n'aurais rien imaginé. La dernier enterrement auquel j'ai assisté remonte à trop longtemps. Il y a beaucoup de monde encore maintenant. Nous sommes à l'extérieur pour nous rendre au cimetière, mais mon corps s'est mis en mode automatique. Je ne suis là que physiquement. Mentalement, je me replis complètement. Je me renferme à l'intérieur de mon corps.

Cela ne m'arrive pas souvent, mais à cet instant, je n'ai qu'une envie, c'est de m'asseoir dans un petit endroit exiguë dans lequel je ne prendrais pas de place. Mais du haut de mon mètre quatre-vingt, je ne rentre plus même dans mes placards. Je n'ai plus d'endroit où me cacher comme  lorsque j'étais enfant. J'aurais pourtant tant aimé, rien qu'à cet instant, retrouver cette liberté d'avoir un petit corps et pouvoir ainsi me faufiler partout sans être vu. Mais maintenant, je marche aux côtés des membres de ma famille. Des cousins, des tantes que je n'ai pas vu depuis longtemps. Des grands-oncles que je n'ai jamais rencontré, ou lorsque j'étais enfant.

Je suis à l'âge à partir duquel je vais commencer à ne plus voir le temps défiler et ne pas me rendre compte que mon entourage vieillit en même temps que le temps passe. Des fois, j'aimerais que le temps puisse se mettre sur pause, pouvoir prendre le temps de souffler. Mais la réalité, c'est qu'on ne peut pas le faire. On en rêve avec toutes les séries que l'on voit, que l'on peut arrêter pour les reprendre plus tard, les activités que l'on suspend le temps de s'occuper d'autre chose et que l'on peut reprendre ou recommencer du début.

Elle est là, l'arnaque de la vie. Elle nous apprend qu'on peut faire des erreurs et recommencer. Qu'on peut mettre sur pause et reprendre une activité. Qu'on peut revoir le même film, relire la même histoire une infinité de fois.

Mais la vie, elle... On ne peut ni l'arrêter pour un moment et la reprendre par la suite, ni la revoir, ni la recommencer. Non. La seule chose que l'on peut faire, c'est témoigner du temps qui passe. Là où l'on peut décider de jeter une lettre entamée et la reprendre depuis le début sur une nouvelle feuille, on ne peut pas effacer ce qui a été fait. On ne peut pas revenir en arrière pour corriger nos erreurs. On peut toujours essayer de les changer dans le futur, mais lorsque c'est trop tard, on ne peut plus revenir en arrière. On doit juste faire avec.

Et c'est le cas également avec les morts. On les connaît de leur vivant. On pense qu'ils sont éternels. Que l'on pourra toujours les revoir la prochaine fois. Jusqu'à l'annonce fatidique. Celle qui fait couler les larmes toutes seules. Celle qui fait comprendre qu'on n'aura plus jamais l'occasion d'échanger de vive voix avec ceux qui sont maintenant défunts.

J'en prends peu à peu conscience maintenant que j'ai assisté à la cérémonie et que je suis me dirige vers le cimetière en voiture. Et ça fait mal. Mes yeux me brûlent mais les larmes refusent de se libérer. Elles s'enferment en moi de la même façon que je me replie silencieusement sur moi-même. Quand nous arrivons au cimetière, je sens que je ne vais plus tenir longtemps.

Je ne suis qu'à moitié présent, je n'entends que d'une oreille lorsqu'on me parle. Lorsque nous arrivons devant la croix qui a été posée temporairement, je suis pris d'un haut-le-coeur. Alors ça y est.

Tout a une fin et je le sais, pourtant.

Le soleil brille. C'est injuste. Aujourd'hui, tout est injuste. Les oiseaux qui pépient et volent joyeusement à travers le cimetière. Le soleil qui brille toujours plus fort, m'empêchant de confondre les larmes qui se sont enfin enfuies de leur prison avec des gouttes de pluie.

Recommencer [L.S]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant