Chapitre 7 - Steven

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J'enchaîne mes longueurs sous les hurlements de mon coach.

— Plus vite, tu es trop lent, tu veux rejoindre les bébés nageurs?

Qu'est ce qu'il peut me gonfler quand il hurle comme ça! Mais après tout, c'est grâce à ses cris que j'en suis arrivé là, alors je m'exécute en silence.  

— Steven, tu sors!

— Pourquoi?! J'ai pas fini, je  ...

— Ton téléphone n'arrête pas de sonner, va répondre, m'apprend il avec un regard d'excuse.

Merde. Je sors en trombe du bassin, m'essuie grossièrement le visage avant de me jeter sur mon téléphone. Mon cœur s'emballe quand je découvre le numéro du Dr. Todd.  

— Allo?, je réponds la voix tremblante.

— M. Murray? C'est le Dr. Todd, je vous appelais pour reprogrammer un rendez vous pour votre frère.

— Comment ça reprogrammer? Vous le voyez tous les mardis à la même heure.

Je vérifie l'heure sur l'horloge au dessus du bassin et déglutis avec difficulté. S'il m'appelle ...

— Boris ne s'est pas présenté à son rendez vous, j'ai pensé que vous aviez eue un imprévu...

— Il n'est pas venu? Mais ... Vous avez essayé de l'appeler?

— Oui, à plusieurs reprises. Je tombe sur sa messagerie à chaque fois, c'est pour ça que je me suis tourné vers vous.

— Merde, je jure avant de raccrocher. Je dois y aller, j'informe mon coach.

Connaissant la situation, il ne cherche pas à en savoir plus et hoche simplement la tête. Je me change en un temps record et cours jusqu'à la maison. Boris n'est pas chez nous. Je l'appelle en chemin et comme son orthophoniste, je tombe sur la messagerie. Je décide alors de faire le chemin de notre maison jusqu'à l'immeuble où se trouve le cabinet médical. Boris est autonome à 80%, il va toujours seul à son rendez vous, on s'est entraîné des dizaines de fois avant qu'il ne le face seul la première fois et depuis des années maintenant, chaque mardi il part à la même heure, prend le même trajet, sans aucun problème, jamais. 

Mon téléphone à la main, mes yeux balaient les alentours. Je ne prends même pas la peine d'interroger les passants. Une fois, quand nous étions beaucoup plus jeune, Boris s'était perdu. J'avais pris le temps de demander à chacun des passants s'ils l'avaient aperçu. Du haut de mes 7 ans, j'ai découvert l'égoïsme et l'indifférence avec douleur. On ne regarde pas ce qu'on ne désire pas. On ne prête pas attention à ce qui ne nous apporte rien de positif. Un enfant kidnappé en plein jour et personne ne voit rien, une femme se fait violer au milieu d'une rame de tram et personne ne bouge, un enfant trisomique disparaît et personne ne l'a jamais vu. Le pire dans tout ça? C'est que je suis persuadé qu'ils ne l'avaient pas vu, parce qu'il ne leur est pas venu à l'idée de s'inquiéter d'un handicapé de 7 ans seul dans la rue. 

Arrivé devant l'immeuble, je fais chou blanc. La panique s'empare de moi jusqu'à ce que j'aperçoive des ouvriers d'une entreprise d'ascenseur approché. Je les suis et grimpe les étages avec eux. J'appelle encore Boris, mais je tombe toujours sur la messagerie. Soit son téléphone est éteint soit il n'a pas de réseau et en grimpant dans les étages, je remarque que moi non plus je n'ai plus de réseau. Est ce qu'il est coincé dans un ascenseur? Quelle horreur! Je vérifie ma montre. Il avait rendez vous il y a plus de 4heures! 

Les ouvriers crient à travers le mur et la voix d'une femme leur répond que tout va bien. C'est la que je l'entends.

— Z'aime pas le bruit, z'aime pas le bruit, z'aime pas le bruit.

Mon cœur se brise de le savoir en détresse avec une inconnue qui doit le mépriser depuis des heures. Je m'apprête à lui parler quand je les entends chanter.

— Un petit poisson sous l'eau... Deux petits poissons sous l'eau... Trois petits poissons sous l'eau et plouf plouf plouf.

Leurs éclats de rire nous parviennent malgré les bruits des machines. Ils continuent ainsi pendant les longues minutes qui suivent. Je n'arrive pas à me détacher de mon sourire niais, mes yeux humides d'émotion, et me promets de remercier cette femme qui s'est occupée de lui. En retrait derrière les techniciens, je prends mon mal en patience jusqu'à ce que la porte cède et s'ouvre enfin. Mes yeux s'arrondissent de stupeur en découvrant Summer qui rit aux éclats avec mon petit frère. Ils n'ont même pas remarqué que la porte était ouverte, tant ils chantent fort. 

Quand enfin ils se reconnectent à la réalité, Summer aide Boris à se lever. Ce dernier la serre dans ses bras et je les regarde échanger quelques mots. La blondinette ne m'a pas vu et c'est aussi bien comme ça. Boris se tourne et son visage s'illumine en m'apercevant. Je le serre à mon tour, rassuré de le savoir sain et sauf. 

— Comment tu vas?, je m'inquiète.

— C'était rigolo avec Summer. 

— Ah oui?!

Ma surprise n'incombe pas tellement à Blondinette qui, après m'avoir vomit dessus, peut me surprendre de mille façons différentes. Mais plus du fait que je sais que Boris est terrorisé à l'idée d'être enfermé. Je ne peux même pas fermer notre porte à clé la nuit sans quoi il crise. 

— Ouiii, même qu'elle m'a donné son numéro pour quand on ira la voir à l'aquarium. Elle a dit que ze pourrais donner à manzer aux phoques et aux pingouins.

Ne comprenant rien à ce qu'il me dit, on rentre tranquillement à la maison où il prend le temps de me raconter chaque secondes de leurs discussions. Je rigole en apprenant que la miss travaille dans un aquarium en ayant peur de l'eau, c'est un comble, et encore plus en sachant qu'il a dû lui montrer trois fois de suite la chorégraphie des mains sur la chanson que j'avais inventé pour lui quand on était enfant.  

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