Chapitre 4

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5 Mai 2011, 5 ans après.

Je n'oublierai jamais ce jour.
Le Santos venait de gagner les quarts de finale contre Once Caldas pendant la Copa Libertadores, et Neymar devait parler lors d'une conférence de presse. J'étais toute excitée, comme à chaque fois qu'il passait à la télé. Je n'étais plus dans le même état d'esprit que l'année d'avant. J'avais totalement assimilé le fait qu'il soit un footballeur professionnel. Après tout, ça ne signifiait pas forcément qu'il m'oubliait, non ? Il pouvait bien coucher avec toutes les groupies qu'il voulait, je me sentais spéciale. Roberto et Igor ne comprenaient pas vraiment ma passion subite pour le football, mais ils me laissaient regarder, c'était déjà ça.
Il s'est assis à sa place, devant le fond publicitaire et a souri sereinement. J'ai souri en retour, seule devant le poste, comme si tous les gens autour de moi n'existaient pas. Je me suis immédiatement plongée dans ses yeux que j'aimais tant. Sa voix m'a bercée et c'est comme si j'étais à la maison, de retour.
Et puis, une question a été posée. Neymar, bonjour, une rumeur circule comme quoi vous allez être père.
Réponse : Oui, c'est vrai, Carolina et moi sommes très heureux, blablabla.
Mon sourire s'est affaissé en moins d'une seconde.
Père ?
Carolina et moi ?
Heureux ?
Je me suis sentie imploser.

- Ha, le con ! a hurlé Igor en se tordant de rire. Ah, le méga con ! Il pouvait se faire toutes les bonasses de la planète et maintenant, il va être obligé de se ranger ! Ha !

Autant vous dire que ça ne m'a pas fait rire. Une adrénaline glacée a envahi mes veines, tandis que les larmes montaient, incontrôlables. C'était comme si, un savant fou avait fait joujou avec mon cœur. Qu'il m'avait ouvert la poitrine, soigneusement taillé chacune des veines qui le reliait à mon cœur et qu'il l'avait jeté, loin. Oui, c'était sûrement ça. Quelqu'un avait dû me prélever mon cœur, parce que je ne le sentais plus battre normalement dans ma poitrine. À la place, un énorme trou. Je crois que je ne respirai plus, parce qu'à un moment j'ai inspiré tellement fort que tous les visages se sont tournés vers moi.
Avant que quiconque ne remarque mes larmes, je suis montée dans l'une des chambres merdiques qui étaient la mienne. J'ai fermé la porte et j'ai hurlé.
J'ai déchiré consciencieusement chacune des pages des cahiers où je consignais les notions que je voulais retenir. J'ai renversé ma chaise et mon matelas, sur lequel je me suis déchaînée. J'ai donné des coups de poings, des coups de pieds, jusqu'à avoir les phalanges rougies et les orteils endoloris. Tout ce qui était en verre a été cassé, tout ce qui était en papier a été déchiré, tout ce qui n'était pas cassable a été déformé.
Au bout d'un moment, je me suis retrouvée seule au milieu de ma chambre dévastée, en larmes, essoufflée. J'avais mal partout mais la seule douleur que je ressentais était celle de que je ressentais à l'intérieur de moi. En reprenant mon souffle, j'ai laissé la tristesse remplacer la colère.
Il allait fonder une famille. Avec une sale blondasse. Son avenir commençait, il était déjà dans le futur. Et moi j'étais toujours ici, coincée, incapable de nouer des relations saines, incapable d'avancer. Et est-ce qu'on parle de mon avenir ? Non. Parce que je n'en ai pas. Ma vie est toute tracée devant moi : je finirai dans cette Maison, un point c'est tout.
Je suis un insecte piégé dans de la sève, un hamster qui tourne sans fin dans un labyrinthe, un oiseau volant vainement dans sa volière.
Je suis prise au piège. En prison, tandis que lui est dehors, à l'air libre. Il vit, normalement, et cette fois, c'est certain : il m'a oublié. J'imagine cette fille, enceinte, et lui, caressant doucement son ventre rebondi. Allongée sur le sol, je me demande si je suis encore vivante. S'il se souvient de Leila, cette petite fille avec qui il jouait et avec qui il a grandi, ou s'il s'en fout royalement. La réponse était visiblement la deuxième.
J'ai fini cette journée comme un zombie.

Mais le pire, c'était le 24 Août. Ce jour-là, Carolina a accouché. Tous les journaux se sont mis sur la fréquence Da Silva-Dantas. Félicitation, c'est garçon ! Et je n'ai jamais été aussi malheureuse.
Ce jour-là, je suis restée 94 secondes la tête sous l'eau. Je pensais m'en aller doucement, au lieu de quoi mon cerveau asphyxié a commencé à délirer joyeusement. Des pensées désordonnées se formaient, de moins en moins claires à mesures que je suffoquais, et qui a dit qu'on voyait sa vie défiler devant ses yeux ?

2000, 6 ans avant

Cette année-là, nous avons peint un chat et nous avons couru dans la favela pour échapper à son propriétaire qui nous poursuivait, furieux. On s'est réfugié dans l'abribus, Ney a ri. "on sera toujours amis n'est-ce pas ?" "Bien sûr que oui !", je l'ai rassuré. Il a souri on s'est endormis côte à côte

2001, 5 ans avant

C'est l'année où on a volé une pièce montée dans un mariage de gens beaucoup trop riches. Ils allaient jeter la nourriture de toutes façons, et c'était si injuste, beaucoup de gens mourraient de faim à quelques mètres de là, et eux s'empiffraient comme des porcs. Les gens de la favela étaient heureux de manger des choux à la crème, même volés. La police nous a poursuivi mais ils ne pouvaient pas nous atteindre, nous étions invincibles, trop rapides pour eux. Pourquoi faisions-nous ça ? Mais parce que c'était juste bien sûr

2002, 4 ans avant

Nous faisions du vélo quand ma sœur est tombée. Elle s'est cassé la jambe Ney l'a portée jusqu'à l'hôpital, "il fera un excellent mari" me suis-je dit "et un père formidable", je n'aurais jamais cru que la mère de ses enfants ça ne serait pas moi

2003, 3 ans avant

Cette année-là nous avons découvert l'île, c'était un tout petit îlot en réalité mais il était génial, et désert, à une petite centaine de mètres à la nage on y dormait souvent, c'était notre deuxième repère

2004, 2 ans avant

C'est l'année où nous avons testé l'alcool, les enfants de la favela font tout avant les autres

2005, 1 an avant

Cette année-là, il m'a dit qu'il m'aimait de manière sérieuse on avait planifié notre avenir on s'était promis de finir ensemble mais je suis sortie avec Julio, j'ai tout foiré je regrette tellement, mais c'est bientôt fini mes pensées s'éparpillent je vais mourir j'en suis sûre

2006, 32 jours avant

Ce jour-là Ney m'a embrassée c'était si bien mais il ne restait que 32 jours et puis j'ai disparu. c'est beau le paradis je ne laisse rien sur terre sauf lui.

Ma tête est brusquement sortie de l'eau tandis que j'inspirais follement l'air autour de moi, émettant un bruit aiguë affreux. Mes yeux exorbités roulaient désespérément dans mes orbites tandis que j'essayais de me persuader que j'étais encore capable de respirer. Mes pensées se réordonnaient peu à peu en des phrases cohérentes et ponctuées. Mon souffle fou m'effrayait.
J'allais le faire. J'allais vraiment me tuer. Rien ne me retenait. Sauf lui. Moi qui pensais le haïr de tout mon cœur, lui en vouloir à mort... Mourir signifiait le laisser partir.
Et je n'en étais toujours pas capable.

L'amour de jeunesse[Leïla&NeymarJr]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant