Chapitre 14

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Je regarde ces yeux dont je connais le moindre des reflets verts et dorés. En les regardant, j'ai l'impression d'être prise dans un tourbillon qui me ramène tout droit chez moi. La réponse coule de source.

- Je suis prête, je déclare.

Il sourit largement, de ce sourire heureux qui m'a tant manqué, et m'attire au milieu de tout le monde.

- Toujours aussi douée pour la danse que la dernière fois qu'on s'est vu?il demande.

Je ris en me rappelant que j'étais montée sur un des chars du défilé, juste avant que Junior ne fasse une crise de jalousie... Et me fasse passer pour une sourde.
Alors que je m'apprêtais à lui répondre, une vielle femme plutôt forte s'approche de nous. Je suis persuadée de l'avoir vue quelque part, mais où ? Ses yeux ridés sont fixés sur Neymar.

- Mon petit Neymar ! elle s'exclame en lui tapotant la joue. Ça faisait longtemps que tu étais pas venu dans le coin. Je commençais à m'inquiéter, elle semble lui reprocher en plissant les paupières. Enfin, tu nous as ramené une jeune demoiselle, c'est déjà ça.

Elle tourne à présent son regard vers moi, et me détaille sans aucun souci de discrétion. Sa manière de gesticuler follement me rappelle effectivement quelque chose.

- T'as mis le temps qu'il fallait, dis donc, elle continue à râler. Et j'espère qu'elle ne va pas voler mes bonbons, celle-là !

J'ouvre des yeux ronds. Josepha ! Elle a sacrément vieilli en 8 ans. Elle est passée par la période où les rides se forment, où les cheveux blanchissent et où le dos s'affaisse. Elle a bien 65 ans, à présent. Pendant mon moment de stupeur, Neymar et elle se sont mis à rire ensemble, puis elle tourne les talons. Juste le temps pour moi de reprendre mes esprits.

- Tu reviens souvent ici ? je demande.
- Oui. J'en ai besoin, il avoue. Alors, on va danser oui ou non ?

Il me tend ses mains. Je souris et place les miennes dessus. La musique est plutôt lente, ce qui nous permet de ne toujours pas atterrir de notre douce euphorie. Il me fait tournoyer comme quand on était enfants, tandis que les guirlandes de lumière au-dessus de ma tête deviennent floues et se mélangent aux étoiles. Ivre de rires et de légèreté, je vous assure que j'ai l'impression de planer. Un milliard de doses de bien-être éclatent dans ma poitrine comme un doux feu d'artifice.
Et, même si je sais qu'au petit matin, je devrais rentrer, je savoure chaque seconde qui m'est donnée à ses côtés.

Neymar.

Je regarde celle qui est en face de moi comme si je ne l'avais jamais quittée, et jamais vue en même temps. Les lumières dansent elles-aussi sur son visage, et projettent sur ses joues l'ombre de ses cils. Elle rit en regardant le ciel tandis que je la fais danser comme je le faisais avec ma cuisinière, comme je le faisais quand on était petit et qu'on trouvait une fête de village. Terriblement maladroit, totalement n'importe quoi, mais en même temps, juste heureux de pouvoir la serrer dans mes bras, et de la faire danser comme un grand au milieu des vieux couples de la favela. Juste fier de déambuler sur la musique avec elle, de montrer au monde entier qu'elle m'a choisi, tout aussi belle et géniale qu'elle soit. Soulagé qu'elle soit à moi, rien qu'à moi le temps d'une danse. Autour de nous on chante, on danse, on rit, on s'interpelle. Tout le monde me connaît depuis que je suis petit, et personne ne fait attention à moi comme l'attaquant star de leur équipe.
J'ai l'impression de retourner dans le passé, d'avoir réussi à effacer toutes ces années fantomatiques qui me font froid dans le dos.
Au bout de plusieurs minutes, on finit par s'immobiliser, épuisés. Les gens continuent dans leur euphorie collective, et nous, on se dirige vers la table parsemée de verres, et on se sert avant d'aller s'asseoir sur les marches d'une maison dont le crépi tombe en ruine, bien que l'intérieur, je le sais, ait été totalement refait à neuf pour la rendre viable.

L'amour de jeunesse[Leïla&NeymarJr]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant