Chapitre 10

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Aujourd'hui, 8 ans après.
Lara.

J'étais en train de finir mon travail pour la fac quand j'ai entendu une voiture se garer devant ma maison. Quelques secondes plus tard, la sonnette retentissait. Je suis allée ouvrir et j'ai été surprise de voir Neymar, devant la porte de chez moi, à Madrid. D'habitude, il prévient toujours, mais c'est pas comme si sa présence m'embêtait. C'est la seule personne avec laquelle je peux parler de ma sœur, et je dois avouer que c'est quelqu'un de bien. Il avait toujours promis à Leila de lui payer une belle maison et de la faire sortir de la favela. Elle est partie avant qu'elle puisse le voir tenir sa promesse, c'est-à-dire assurer à tout ce qu'il reste de la famille Rayos une vie confortable.
J'avais toujours pensé que les personnes disant que l'argent ne fait pas le bonheur étaient hypocrites, et de mes yeux d'enfants je voyais toutes les possibilités qui s'offrirait à moi si j'étais née riche : des voyages partout, de la nourriture de luxe chaque jour, une belle maison. Depuis que Neymar est riche, je vois les choses différemment. Imaginez un type qui arrive un jour et qui vous dit, choisis ce que tu veux faire, absolument tout ce que tu veux, je te le donnerai, grâce à moi t'auras jamais à te préoccuper de travailler. C'est ce qui m'est arrivé.
Aujourd'hui, grâce à Neymar, je peux avoir tout ça, et je ne suis pas heureuse pour autant. Toute ma famille est morte dans une succession événements malchanceux que je n'aurais jamais crus possible. D'abord, ma mère décède d'un cancer. Et puis, ma sœur se fait enlever comme une touriste et mon père décide de se laisser mourir petit à petit, comme si je n'existais pas. Il ne m'a jamais permis de lui suffire, et j'ai dû assister à sa longue agonie teintée de chagrin, impuissante, inutile, délaissée. Il avait oublié qu'il lui restait un enfant, que j'avais encore besoin de lui.
J'ai dû me relever seule de ma peine, sans l'aide de personne, pas même de ma sœur sur qui je m'appuyais pourtant tout le temps. J'ai dû devenir adulte et responsable à 11 ans, et pour ça, je ne pardonnerai jamais à mon père.
Et le pire, le pire c'est qu'il était assez lucide pour écrire une dernière lettre que j'aurais voulu ne jamais lire.

- Neymar, je dis avec surprise. Qu'est-ce que tu fais là ?
- J'avais besoin de parler. Je te dérange ?
- Pas du tout, vas-y, entre.

Il s'assoie et je le rejoint, en poussant tous mes papiers.

- Tu vas bien ?
- Ça peut aller, je réponds en haussant les épaules. Un peu fatiguée. Toi ?
- Un coup de mou.
- Ça arrive.
- Ouais. C'est juste...
- Quoi ? je l'encourage.
- C'est juste, ça ne devrait plus arriver, pas au bout de 8 ans.
- Il faut l'oublier maintenant Neymar, je dis un peu durement.

Mais Leila n'est plus là, tu le sais.
Je suis dans une pièce noire avec lui. Ce n'est pas elle qui est partie cette fois, c'est nous.
Arrête, c'est si bête, bien sûr qu'elle est là, encore là, vivante, quelque part. Ne dis pas n'importe quoi Neymar. Elle est encore là ! je hurle en m'arrachant les cheveux.
Elle n'est plus à côté de moi en tous cas. Je ne la vois plus, il souffle et je remarque qu'il ne bouge plus.
Mais elle est vivante ! Pourquoi personne ne me croit, elle est vivante ! Vivante !
Tout le monde me prend pour une folle et me regarde. Des hommes en blanc font irruption et me mettent la main sur la bouche.
Vous allez réveiller les autres patients, il souffle.
Je me noie dans de l'encre.
Je plisse les yeux et secoue ma tête pour chasser le souvenir de mes cauchemars. Encore une fois, ils m'ont réveillée cette nuit. J'aimerais dormir, je suis à bout.

- Vous me dites tous d'oublier. Mais ce n'est pas possible.

Il commence à me fatiguer, à se plaindre, toujours se plaindre. Et moi alors ? Je ne souffre pas peut-être ? Il s'imagine que je suis sa psychologue, qu'il peut venir à chaque fois que je remonte un peu la pente pour s'agripper à moi et me faire redescendre au fond du trou à ces côtés ? Mais moi aussi j'ai envie d'avancer, je voudrais oublier, et j'en ai marre, plus que marre qu'il agisse comme s'il était le seul à morfler dans cette histoire. Je dois lui rappeler que je n'ai plus de famille ? Lui a toute la sienne, soudée, et il vit son rêve. Alors est-ce qu'il pourrait, juste une fois, arrêter de faire l'enfant malheureux ? Parce que ce n'est pas son rôle dans l'histoire, non, la pauvre enfant, c'est moi. Et ça commence à me taper sur le système. Dur.

- Il faut arrêter d'y penser, t'as une copine et un fils maintenant.
- Je ne peux pas m'arrêter d'y penser, tu ne comprends pas ? J'attends toujours qu'elle revienne, qu'elle m'appelle, qu'elle m'envoie un message. J'attends qu'elle revienne et qu'elle rit avec moi, qu'on prenne une revanche sur toutes les années qu'on nous a volées ?

Je ne dis rien, il n'en a pas besoin de toutes manières, il peut continuer tout seul sans que je dise rien. Après tout, est-ce que lui a pris de mes nouvelles après la disparition de Leila?

- Tu l'imagines, en ce moment-même ? il demande.

Oh que oui, je ne l'imagine que trop bien, Neymar.

- Où est-ce qu'elle est, à ton avis ? Encore au Brésil ? Chez des psychopathes, dans une cave ? Ou bien elle a épousé un homme riche, qui la retient...

Je ne sais pas si c'est la fatigue ou le stress, mais je n'en peux plus. Je n'en peux plus de ses questions, de ses supplications, de ses suppositions. Je craque, c'est simple, j'implose.

- Arrête de t'imaginer des trucs ! je hurle en me levant brusquement. Arrête de bloquer là-dessus, arrête d'y penser, d'imaginer ! On ne saura jamais, d'accord, jamais, et arrête d'espérer aussi, parce qu'elle ne reviendra jamais non plus, ça imprime, jamais ?

Il se lève à son tour avec un air offensé. Mais je m'en fous. Il a 22 ans, c'est un grand garçon, et je ne suis pas sa mère. Et, même si la culpabilité se fait d'ors et déjà ressentir dans ma poitrine, je suis trop usée pour arrêter.

- Comment tu peux dire ça, c'est ta sœur...
- Ma sœur, elle est morte, ma sœur ! je crie. Alors arrête de l'imaginer avec une belle vie, arrête de l'imaginer en vie tout court !

Mes nerfs lâchent. Je n'ai jamais su me contrôler, Leila non plus. Comme quoi, il n'y a pas que notre allergie aux fleurs qu'on a en commun. Pardon. Qu'on avait.

- Elle est disparue, il rectifie en montant le ton lui aussi. Tant qu'on a pas de preuves, on ne peut rien affirmer...
- C'est les flics qui t'ont dit ça ? je ricane. Mais tu veux des preuves ? Tu veux des preuves qu'elle est morte, qu'elle n'existe plus, qu'elle n'est plus qu'un tas d'os dans un coin de Braz Cubas ? Tu les veux, les preuves ?
- Lara, mais qu'est-ce que tu dis, ça va ?
- Mais oui, je vais bien ! C'est toi qui vit déconnecté, Neymar ! Leila est morte, fais-toi une raison !
- Tu peux pas dire ça.
- Si, si, je peux le dire, parce que je le sais, et parce que c'est vrai ! Tu veux savoir la vérité ? Ce jour-là, ils l'ont pris pour une européenne, et ils l'ont enlevée. Et puis, ils ont demandé une rançon à mon père, mais tu sais quoi ? Il a jamais pu la payer, et il s'est laissé crever, parce que par sa faute, ils l'ont butée ! T'es pas innocent au point de pas savoir ce qu'on fait aux otages quand la rançon est pas payée, pas vrai ?

Il se tait, et j'ouvre un tiroir de la commode. J'en retire un vieux papier où mon père a griffonné quelques mots alcoolisés. Je lui lance de la pire des façons, mais qu'est-ce que j'y peux ? Je ne me contrôle plus.

- Maintenant, tu sais, je soupire en me calmant un peu.
- Mais, les flics...
- Les flics ne voulaient pas faire plus de peine à un petit garçon des favelas déjà mort de douleur, tu le comprends, ça ? Est-ce que tu vas arrêter de la chercher partout, maintenant ?

Il ouvre la bouche et je vois ses yeux commencer à briller. Tant pis. Il avait le droit de savoir. Il porte son regard dessus, et les larmes enflent. Il serre la mâchoire, prend le papier et s'en va sans un mot.
J'ai été trop dure et je commence déjà à le regretter. Il ne méritait pas. Il était amoureux de ma sœur et c'est juste un type qui souffre. Mais je ne peux pas prendre sa douleur en plus de la mienne.
Je ferme la porte et soupire. Je viens encore de perdre une personne qui m'était chère, mais cette fois, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.
J'aurais tellement avoir ma sœur auprès de moi. C'est elle qui m'a servie de mère, quand la nôtre est morte d'un cancer. Et même si dans les dernière années, je lui en voulait de passer tout son temps avec Neymar, aujourd'hui je la regrette. Plus que tout.

2005, 1 an avant.


- Je veux pas y aller !

Je suis très en colère. J'ai envie de faire brûler le monde entier. Cette stupide favela, ces quartiers riches de merde, ces voitures de luxes débiles, ces foutues différences, et, plus que tout, ce crétin de Neymar Junior qui me vole ma sœur.

- T'avais dit que tu me montrerais l'île où tu dors des fois ! je cris. T'avais dit qu'on jouerait à la poupée, et que tu me prêterais tes habits ! Tu veux jamais rester avec moi !

Cliché de la petite sœur pénible, à 10 ans je collais Lei en la détestant en même temps. Je l'admirais tout en ayant envie de l'étrangler. Je voulais lui ressembler et ne plus jamais la revoir. Je voulais sa vie, ses amis, ses jouets, ses histoires, ses résultats à l'école, et plus que tout, je voulais quelqu'un comme Neymar, avec qui j'aurais pu rester toute ma vie.

- Lara, je t'ai dit que j'allais au foot, alors soit tu viens avec moi soit tu restes chez les Da Silva avec Rafaella !
- T'as pas le droit d'aller au foot d'abord, je réplique. Il veut pas que tu viennes le voir jouer.
- Il veut pas que je le vois, seulement parce qu'il pense que je vais le déconcentrer. Mais s'il me voit pas, je vois pas pourquoi j'aurais pas le droit d'aller à son match.

Leila s'était mise depuis quelque temps à aller le voir jouer, même s'il le lui avait formellement interdit. Ils étaient un peu en froid, depuis qu'elle s'était mise avec Julio. Je crois qu'elle essayait de le rendre jaloux, de lui faire du mal. Et ça avait marché. Il était distant avec elle. Ça ne l'empêchait pas de continuer à venir le voir.
Je ne comprenais rien au foot, et aller au terrain m'ennuyait fortement. Mais je voulais simplement être avec elle, alors j'ai accepté.
C'est comme ça que je me suis retrouvée tapie derrière les gradins du petit terrain de la ville, à regarder vingt-deux type courir derrière une balle.

- Je préfère la danse, je gromelle.

Elle ne m'a même pas accordé un regard, figée devant son « ami », tellement talentueux et blablabla.

- T'es amoureuse de lui, hein ? je demande.

Elle tourne sa tête vers moi.

- Non.
- Menteuse.
- Qu'est-ce que ça peut bien faire, de toutes façons ?
- Lui il t'aime.
- Arrête de dire n'importe quoi Lara, tu m'énerves.
- Si, si, c'est Rafaella qui me l'a dit.

Elle se tait. Je lâche :

- Quand tu seras riche et mariée avec lui, tu me laisseras ici.
- (fronçant les sourcils) Qu'est-ce que tu racontes Lara ? elle dit. Tu me crois capable de te laisser ici seule alors que je serais avec lui ?
- Oui, je réponds. Tu t'en moques de moi, t'aimes que lui.

Les larmes avaient perlé au coin de mes yeux et elle s'était accroupie devant moi.

- Ne dis pas n'importe quoi, enfin, elle m'avait grondée en me serrant dans ses bras. T'es ma sœur et je t'aimerais toujours, quoiqu'il arrive. Même si je passe du temps avec lui et pas avec toi, je t'aime.

J'avais souri.

- Je serais toujours là pour toi, d'accord ? Même si on se voit pas tous les jours, je serai là pour voir la personne formidable que t'es en train de devenir. Belle, intelligente, gentille, toujours prête à aider les autres.

Mon cœur s'était rempli de fierté.

- Ne fais de mal à personne, d'accord Lara ?

Je ne sais pas pourquoi elle m'a dit ça. Sûrement parce qu'elle savait pertinemment qu'elle avait blessé Neymar en sortant avec Julio, bien plus qu'elle l'aurait voulu. Toujours est-il que j'avais imprégné les mots dans mon coeur avant de répondre :

- Je te promets.

Elle m'avait embrassé le front.

- Je suis tellement fière de toi...

Aujourd'hui, 8 ans après.

Ses mots me reviennent en mémoire tandis que mon téléphone m'annonce un message. C'est Neymar, qui s'excuse de n'avoir pensé qu'à lui.
Je ne sais pas quoi répondre. J'hésite, mais un seul mot s'impose à mon esprit.
Pardon.
Pour lui, et surtout, surtout pour Leila.
Pardon, pardon, pardon.
Comment tu pourrais être fière de moi maintenant alors que je viens de blesser la personne que t'aimais le plus au monde ?
Pardon, pardon, pardon.
Je ne suis pas quelqu'un de formidable.
Pardon d'être ce que je suis.
Pardon d'avoir baissé les bras.
Pardon de me laisser aller.
Mais je ne peux pas faire autrement.
Tu m'as laissée toute seule, alors que je n'étais pas prête. On a enlevé les roulettes de mon vélo alors que je ne savais toujours pas en faire. Je me suis fracassée à terre.

L'amour de jeunesse[Leïla&NeymarJr]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant