Bitter and Sweet (Nancy)

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Niveau d'angst : 2/10

Une jeune fille marchait sur la pointe des pieds, ses chaussures dans une main, de manière à écraser la moquette le plus délicatement possible. Il fallut plusieurs minutes à El pour s'habituer à la pièce baignée dans l'obscurité et dans un silence sentencieux.

Il lui fallut encore quelques instants pour distinguer les traits de l'inconnue, puis elle reconnut les cheveux bouclés, le nez obtus, les traits droits et le menton saillant de Nancy. Son visage était douloureusement noué en une expression d'angoisse.

.

Nancy avançait à pas feutrés, priant pour ne réveiller personne, et surtout pas son père. Vu comme il avait l'air fou depuis quelque temps, le réveiller allait à l'encontre de tout instinct de survie.

Son estomac se rétractait d'angoisse. Elle se sentait si nauséeuse qu'elle était sur le point de s'asseoir par terre et de se mettre à vomir.

Sans vraiment savoir comment, elle atteignit la salle de bain. Elle referma la porte avec une précaution disproportionnée, puis se laissa tomber sur le rebord de la baignoire. Elle resta assise un moment, accablée, effondrée. Elle lorgna d'un œil flasque sur la baignoire, hésitant à se faire couler un bain.

Puis elle se ressaisit. Elle passa la main sur son visage, massa ses articulations endolories, et se réprimanda mentalement. Et puis quoi encore, se laisser aller ? Alors que rien n'était sûr ? Alors qu'elle avait sûrement mal vu, quoi, alors que ça arrive des erreurs, des accidents, merde ! Il fallait se reprendre en main.

Nancy se leva, raide comme une ligne, essayant d'écraser son désespoir flageolant par une détermination absurde. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour ouvrir une boite en carton poussiéreuse, arracha fébrilement un test de grossesse, et considéra l'objet un instant entre ses mains tremblantes. Elle prit une inspiration chancelante.

Elle avait si peur de savoir.

La jeune fille se retourna, puis baissa sa jupe avec une lenteur infinie, retardant l'instant fatidique.

Lorsque ce fut terminé, elle se retourna, tremblante et oppressée.

Elle ramassa le test.

Deux barres.

Putain.

Deux barres.

Nancy sentit une vague de panique se déferler dans sa gorge, bloquant ses voies respiratoires, inondant sa bouche. Elle se tourna vers la lampe qui crachait une lumière blafarde sur les deux affreuses lignes bleues.

Deux barres.

Elle frotta le test de toutes ses forces -son nez envahi par l'affolement, elle ne parvenait plus à respirer que par un minuscule trou dans sa gorge, et elle poussait des halètements saccadés, semblables à ceux d'un chiot blessé.

Deux barres.

Pas une, mais deux, bien nettes, bien propres. Nancy frotta de plus belle, essayant de, elle ne savait pas, de dissimuler, de masquer sa honte, la marque de son malheur. Ce n'était pas possible. Il y avait une erreur quelque part, il y avait une erreur.

Deux barres.

Elle frottait encore, tentant, désespérément, d'effacer l'erreur. Elle frottait à corps perdu, jusqu'à ce que son ongle se casse et éclate dans un claquement sec.

Elle comprit alors qu'il n'y avait pas d'erreur.

Une vague de brume envahit ses paupières, son torse, ses jambes. Un poids écrasant, irréel. Elle sentait la terre tourner lentement. Elle baissa nonchalamment les yeux sur son buste et aperçut avec un étonnement relatif une longue coulée verte et grumeleuse qui s'épanchait mollement depuis sa bouche, coulait sur son menton et ses vêtements, gouttait sur le carrelage.

My little eyeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant