Huitième fragment

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«She eyes me like a Pisces when I am weak»

Le son des basses embrasse doucement l'intérieur des oreilles de Wolfgang, le coupant de toute tonalité provenant du monde extérieur, de la moindre brise ou la moindre couleur.
Il ne voulait rien voir. Rien ressentir. Qu'on lui anesthésie le cœur.
L'herbe n'arrivait plus à suffir.

«I've been locked inside your heart-shaped box for weeks»

   - Qu'est-ce que tu écoutes?

C'est avec une certaine amertume que le garçon ouvra ses yeux afin de détailler la personne qui avait osé interrompre sa méditation. Une jeune femme blonde s'était adossé au même arbre que lui; c'était la même qui l'avoisinait durant les sessions de classes pénibles auxquelles il se forçait d'assister.
Elle et lui, c'était étrange; dés qu'il marchait quelque part, il avait l'impression qu'elle n'était jamais loin. Elle était comme une parcelle de foule dans l'immense illustration de son malheur, assistant de loin à certaines scène mais sachant autant de lui qu'il n'en connaissait d'elle.

Par réflexe, il tira les manches de sa veste sur les paumes de ses mains afin d'être sûr qu'elle ne voit pas ses cicatrices.
Elle l'ennuyait. Wolfgang n'aimait pas se sentir observé.

   - Qu'est-ce que tu veux?
   - J'aimerais savoir ce que tu écoutes.

Wolfgang retire son écouteur.

   - C'est du Nirvana.

Les yeux hazel de la jeune femme se posèrent sur sa main avant qu'elle n'approche son oreille de la source du son. Wolfgang s'était fait soudain envahir par une vague chevelue d'or et d'hibiscus, et se décala légèrement par pudeur.

   - Je n'aime pas. fit-elle après un instant.
   - Eh bah, t'as des goûts de merde. répondit-il sèchement.

Il s'empressa de remettre sa mélodie contre ses tympans, mais n'arrivait plus à disparaître hors de sa psyché comme précédemment. Elle était là, toujours là, à côté de lui et ça le perturbait.

   - C'est qui, qui t'envoie?
   - Qui m'envoie? demanda-t-elle, confuse.
   - Oui, c'est pour se foutre de ma gueule, c'est ça?
   - Non, y'a personne...
   - T'es bien à mes basques pour une raison, non? Crache le morceau ou dégage. J'aimerais être seul, là, tu vois?

L'inconnue tirait nerveusement sur ses phalanges, mais la manière dont elle soutenait sans retenue son regard perturbait le brun. Il voulait détourner le visage mais c'était comme si elle s'apprêtait à demander quelque chose;

   - Est-ce que c'est vrai...ce que les gens disent? Que t'es...gay?

Les yeux de Wolfgang grandirent de la même manière qu'un étrange sentiment de colère, de trahison en lui.
La silhouette forte et longiligne de celui qui ne l'avait jamais vraiment quitté lui revint de manière létale. Il se leva sans préavis dans l'idée de mettre directement un terme à cette discussion qu'il avait déjà eu beaucoup trop de fois dans la cour de cette école, avant que l'étudiante ne le retienne.

   - Attend!
   - Ferme-là!
   - Je voulais savoir, est-ce que-...est-ce que tu voudrais bien sortir avec moi après les cours?

Sortir avec elle?...
Il se demandait s'il avait bien entendu. La pulsion de soudainement la regarder de haut en bas de manière égarée était difficile à retenir. Pourquoi une femme de son acabit se soucierais-t-elle de lui?

   - Je veux dire, je m'inquiète pour toi...Je voudrais bien qu'on puisse discuter, tous les deux.
   - Je bosse après les cours.

Elle s'inquiète pour moi? Comment ça?

Wolfgang grattait nerveusement son crâne, le regard ailleurs.

   - Oh...

Elle se lève doucement, serrant son sac à dos contre sa poitrine.

   - Alors, une autre fois, peut-être?
   - Non. Non, je ne peux pas sortir avec toi. Je n'ai pas le temps. Et puis, je ne suis pas quelqu'un de bien pour toi, tu-...

Je ne te...Mérite pas..

Wolfgang sentit ses ongles se planter dans le creu des paumes de ses mains. Ses dents se serraient; son cœur ressentait de nouveau la moindre violence des coups de Kennedy.

Peut-être avait-elle essayé d'approcher. Il n'en savait rien. Wolf n'avait plus qu'une idée en tête, s'éloigner de cet endroit, le plus rapidement possible. S'éloigner d'elle.

«Forever in debt of your priceless advice
Your advice»

Le rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant