Quatorzième fragment

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Tu es assis sur l'un des vieux pupitres de cet amphithéâtre, qui n'a visiblement pas été rénové depuis des lustres. Les sièges délabrés et les graffitis sur les tables en sont la preuve même. Certains disent que l'on peut encore y entendre les voix des ancêtres qui y ont étudié avant toi.
Mais toi, ce ne sont pas ces voix qui t’intéressent.
C'est leurs voix.

Ces chuchotements, ces pssst pssst, ces pch pch pch qui énervent le professeur, mais pas seulement.
Ils t'énervent toi avec, et la majorité ne le savent peut-être pas, mais dieu sait qu'il ne faut pas jouer avec tes nerfs.
Vous étiez bien trop nombreux à vous rendre en cours, ce jour là. Cette session réunissait plusieurs classes de l'école et tu t'apitoyais d'avance du manque de places libres qu'il allait y avoir dans la salle. Certainement aucune chance pour toi d'être isolé près de la sortie. Dommage.
Mais il y avait une chose bien au sujet de ce cours-ci; dire que tu l'attendais avec impatience serait une exagération, mais tu avais cet étrange picotement d'excitation à l'arrière de la nuque quand tu y pensais. Oui, ce cours-ci allait pouvoir te permettre de voir ta petite sœur Shirley, et dieu sait que tu adores sa compagnie, même à 20 chaises de distance.

A peine arrivé, tu la cherches du regard; tu te doutes qu'elle doit se trouver dans les premiers installés, vu que contrairement à toi, ta très chère sœur, tendre et disciplinée, tiens toujours à se montrer ponctuelle en cours et à la moindre occasion.
Tes iris tombent finalement sur sa chevelure blonde et tu lui envoie un SMS, cherchant à te faire discret.

Je suis derrière toi, au fond de l'amphi

Après quelques secondes, tu la vois se retourner et balayer du regard des environs; tu lui fais de grands signes pour qu'elle te reconnaisse et te fasse un sourire.
Mais elle était déjà bien trop avancée et toutes les places entre vous deux avaient déjà été occupées.
Tu n'étais pas du genre à négocier à Pétaouchnok pour une place d'amphithéâtre; ton siège en mauvais état à côté du couloir t'allait très bien.

Tu ne savais même plus quel était le sujet de ce cours et tu t'en fichais. La voix du professeur tamisait le fond de tes pensées comme quelque chose d'insondable que tu ne daignais pas déchiffrer.

Jusqu'à ce qu'il prononce un nom; une suite de syllabes que tu connaissais que trop bien. Celui de ta soeur.

   – Oui monsieur! elle s'était levée poliment de sa chaise.
   – Vous qui avez longuement travaillé sur ce sujet, pouvez-vous venir sur l'estrade et nous faire un résumé de votre exposé?

Ton visage se tourne vers la scène avec des yeux sceptiques. Tu pouvais sentir d'ici la nervosité de ta petite sœur, qui tirait les manches de son uniforme pour se couvrir les mains.

   – C'est à dire que, je n'en ai qu'une partie puisque....Mes camarades...Ne sont pas là avec moi, alors...

Quelqu'un pouffe de rire dans l'assemblée et ton sourcil tique nerveusement.

   – Ce n'est pas grave. Présentez-nous ce que vous savez.
   – Bien...

Shirley se faufila alors entre les rangées d'élèves avec difficulté, ayant saisi juste avant, un peu maladroitement, une série de quelques fiches et dossiers qu'elle tentait tant bien que mal de tenir entre ses bras.

Une fois sur l'estrade, la jeune fille tira nerveusement sur sa jupe et réajusta ses
chaussettes longues, ce qui malheureusement poussa certaines de ses feuilles hors de son emprise.

   – Pffff, la grosse truie!

La grosse quoi?...

Tu te mets à analyser chaque lèvres autour de toi, le sang chaud. Tes yeux te brûlent.
Impossible de savoir si la jeune blondinette avait entendu la moquerie, alors qu'elle cherchait encore dans ses papiers par quel paragraphe commencer.

   – Allez, on a pas toute la journée!
   – Ferme ta gueule! tu lances de ta voix forte et rocailleuse.

   – Hey, un peu de silence s'il vous plaît! s’exclame le professeur.
   – Qui c'est qui m'as dit de fermer ma gueule?

La jeune femme baissa la tête, honteuse, alors que son public commençait à se désintéresser totalement d'elle.

   – C'est moi!

Tu te lèves, fièrement, ce qui énerve d'autant plus l'enseignant que l'auteur des brimades.

   – Tu cherches quoi? Tu veux te battre, le nègre? répondit l'autre, agacé.
   – Tu m'as appelé comment là?!
   – Ho! Non! C'est bon, tous les deux, sortez de mon cours!

Tes yeux croisent ceux de Shirley, visiblement déçus et inquiets, surtout lorsqu'elle analyse les tiens.
Tu soupires d'avoir encore merdé lorsque tu te diriges vers le couloir, mais tu ne regrettes rien. Pour rien au monde, tu ne laisserais ta petite sœur se faire insulter.

Cela aurait pu se terminer ainsi, jusqu'à ce que harceleur ne se dépêche de se hisser à ta hauteur.

  – On sait tous que t'es amoureux de la grognasse, mais tu sais, elle est un peu trop jeune pour toi-...

Entendu par ses amis, certains gloussent discrètement pendant que tu te figes au milieu des marches.

Tu sens la colère te posséder. De plus en plus. Elle a gagné ton visage, tes bras...Bientôt tout ton corps allait trembler et peindre les murs de cette école en rouge.

   – Ne me cherche pas... tu souffles entre tes dents, en guise de dernier avertissement.
   – Ouuuuh j'ai peuuuur. Il va faire quoi, le grand méchant noir?
Me frapper?

Le rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant