" Mon nouveau monde. "

J'ai mal au cœur, ce matin sera sûrement le dernier dans ma campagne pour un bon moment. Savoir que je ne ressentirai plus les bras de ma grand-mère ou que je ne passerai plus de temps avec Liam et Lisa avant longtemps me rend triste. Je ne suis pas habituée à ce changement brusque, mais il faut faire des sacrifices dans la vie, pas vrai ?

Comme nos parents, pas vrai ? Ils t'ont sacrifiée pour leur réputation.

Bordel, cette foutue voix n'arrange rien. Savoir que je serai plus proche de mes parents que des gens que j'ai réellement aimés et chéris me fait un pincement au cœur. Je n'ai pas osé prévenir Lisa de mon départ en personne puisqu'elle s'était enfermée dans sa chambre ; malgré plusieurs essais de ma part, rien n'a fonctionné. Je lui ai donc écrit une lettre à la place, même si j'aurais préféré le faire en personne. Enfin, j'imagine que c'est mieux que de l'entendre sangloter dans mes bras ? Elle n'a plus trop d'amis maintenant, et la seule qui lui reste part.

Assez pensé aux autres ! Concentre-toi sur toi, Neyla ! Tu pars à Yirlir, l'école de tes rêves : l'élite. Je dois donner mon meilleur là-bas, je ne baisserai pas les bras.

Le paysage de la calèche, qui était initialement rempli de verdure, d'arbres, de cabanes et de boue, a complètement changé. Du goudron remplaçait la gadoue, des maisons toutes aussi énormes les unes que les autres remplaçaient les cabanes. Des marchés étaient présents, les quartiers étaient denses. Je me sens étouffée dans la calèche face à tout ce monde dehors, je déteste ça. Mes mains tremblent et une boule s'installe dans mon ventre, me voilà anxieuse. Je suis habituée à un endroit assez calme et peu dense, alors voir cette foule—

— Putain ! cracha le cocher, visiblement en colère.

Un attroupement inhabituel avait lieu dans la rue. Une troupe de chevaliers sur leurs chevaux passait, une sorte de cortège. Les applaudissements et les cris des femmes se faisaient plus intenses lorsque quatre hommes sont apparus. Heureusement qu'aujourd'hui n'est pas le jour de la rentrée. J'ai soupiré, mais visiblement assez fort pour que le cocher l'ait entendu.

— Excusez-moi, mademoiselle, il semblerait que des chevaliers et des nobles soient rentrés en ville.

— Oh, pas de souci, c'est seulement le bruit qui me dérange.

— Désolé encore...

Il semblait gêné. Quatre hommes tous vêtus de tissus coûteux : sûrement des nobles. L'un avait des cheveux longs et bruns aux yeux verts, il était plus bâti que les trois autres autour de lui. Un autre avait des cheveux blancs, ni courts ni trop longs, et des yeux mystérieusement violets ? Ses yeux étaient perçants bien plus que ceux des autres. À moins que— Un homme aux cheveux noirs et longs, devant ses trois camarades, a directement capté mon attention. Vous imaginez pourquoi : ses yeux rouges, l'armoirie de la famille royale. Le fils même de l'Empereur et l'un des successeurs au trône. Je le hais lui et sa famille, ces connards ont non seulement détruit ma vie, mais aussi celles de milliers de personnes. Ces yeux rouges, qui descendent de génération en génération, sont la preuve de tout le sang qu'ils ont sur leurs mains. Certains disent que c'est une malédiction faite par un mage, d'autres disent que c'est Dieu lui-même.

Dans tous les cas, ces yeux ne m'inspirent que de la haine.

C'est à cause de ce genre de personnes que des lois débiles existent, comme celle pour laquelle-

— Tais-toi ! criai-je de toutes mes forces. Putain, j'ai pensé trop fort... Mes mains tremblent, mon cœur bat de toutes ses forces, mes mains se serrent et ma gorge se noue.

— Veuillez m'excuser, c'est le bruit, vous savez. Dis-je d'un rire gêné.

Le cocher acquiesça de la tête.
— Nous allons pouvoir reprendre la route dans quelques minutes, mademoiselle.

Je mis ma tête entre mes bras pour ne plus voir cette piètre vision de ce cortège. Je me mis à repenser à des souvenirs de ma campagne, cela me calmera. Le ciel était d'un bleu étincelant, les nuages dansaient autour du soleil. Mes bras bronzés par le soleil étaient ornés de bijoux que ma grand-mère m'a donnés, sûrement pour dissimuler ma classe sociale au passage. Ma peau n'est pas pâle, pas comme les autres filles. Elle est assez foncée pour ne pas être pâle mais pas assez pour être considérée comme paysanne. La peau est aussi un marqueur de classe sociale ; ceux ayant la peau pâle sont automatiquement rattachés à la noblesse et à la pureté. Pourquoi ? Cela signifie qu'on ne travaille pas sous le soleil. Leurs vices vont si loin, cela m'épuise. La voix du cocher me sortit de mes pensées, plutôt ennuyeuse d'ailleurs.

— Nous sommes arrivés, mademoiselle.

— Merci pour cet agréable trajet, faites bonne route !

Le cocher me sourit et reprit sa route de plus belle.

Je suis maintenant face à une barrière magique ? J'ai failli oublier ce détail. Une femme aux yeux clairs, dont je n'arrive pas à déterminer la couleur, me sourit.

— Bonjour, vous semblez perdue. Êtes-vous une élève de Yirlir ?

— Oui, je suis Neyla Delgrade. Vous êtes ?

— Je suis une gardienne de la barrière de Yirlir, veuillez me suivre je vous prie.

Je la suivis d'un pas hésitant, ses cheveux courts et sa démarche plutôt confiante m'ont tout de même rassurée. Je suis bien arrivée à Yirlir. Un sourire s'est échappé de mes lèvres. Je suis là ! Je ressens enfin la fierté de ma prouesse, mon cœur bat la chamade.

Nous sommes arrivées devant une sorte de petite maison ? Elle tira une chaise pour moi et m'invita à m'y asseoir. La pièce avait des murs avec des sortes de roches, elle posa un classeur sur la table puis me sourit.

— Je m'excuse mais c'est le protocole, je dois vous demander quelques informations.

— Pas de souci.

J'ai répondu à toutes ses questions, confiante. Je pensais que "l'examen" était fini jusqu'à ce qu'elle me pose une question.

— Descendez-vous de la noblesse ?

— En quelque sorte, oui, mais je ne fais pas partie de la "haute société".

Elle fouilla légèrement mon dossier puis acquiesça de la tête. Pourquoi cette question ?

— Bien, nous allons vous donner des uniformes bientôt, nous prendrons vos mensurations demain à dix heures.

— D'accord, en ce qui concerne les cours, quand débuteront-ils ?

— D'ici une semaine, mademoiselle. D'autres questions ?

— Non, merci.

Le fait que des gens m'appellent mademoiselle me dépaysage déjà. Je ne suis pas habituée à toutes ces choses. Bien que je sache m'adapter assez rapidement, cela n'empêche pas le fait que je me sens encore plus loin de chez moi...

Mes valises à la main, je me dirige vers la chambre qui sera la mienne pendant un long moment ; la chambre sept. Je défile les couloirs en cherchant ma chambre ; un lutin me scrute.

— Besoin d'aide, mademoiselle ? Hésitante, je lui réponds :

— Oui, je n'arrive pas à trouver ma chambre... Dis-je en me grattant la nuque.

— Pas de souci, montrez-moi votre carte de chambre ?

Il regarda ma carte sur laquelle était écrit "chambre numéro sept, couloir rubis". Il m'invita à le suivre.

— Nous voilà, autre chose ? Il me sourit. Je lui souris en retour.

— Non, pas de souci, merci !

— Au revoir, mademoiselle.

J'introduis la clé dans la serrure puis entre dans ma chambre sans oublier de la refermer ensuite. Je défais ma valise petit à petit ; mes habits sont maintenant sur des cintres, et mes souvenirs cachés dans une boîte.

Maintenant, une seule envie est imminente : m'assoupir sur mon lit. Je me change et pose ma tête sur l'oreiller douillet. Un sourire s'installe sur mes lèvres ; finalement, tout ne se passe pas si mal que ça.

Two swordsWhere stories live. Discover now