☁︎ chapitre 5

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Sangmin n'a pas même dormi une heure, dans la nuit du dimanche au lundi. Il est resté immobile, allongé sur le dos et les mains nouées sur le ventre, par-dessus le drap. Son esprit a continué à tourner à plein régime, mais sa décision était prise. Cette journée où il ne pensera qu'à lui sera bel et bien le lundi 11 juin. Il se sent toujours égoïste, horrible de reléguer consciemment ses proches au second plan, mais il continue à tenter de se persuader que c'est pour le mieux. Il n'aura plus à s'en soucier.

Il éteint son réveil à quatre heures cinquante-deux, récupère son sac et son uniforme et se faufile hors de la chambre. Des gestes mécaniques, ancrés dans sa routine matinale. Il se déplace comme une ombre dans l'appartement, s'habille sans même en avoir conscience et attend sans voir le temps passer à l'arrêt de bus. Il se sent vide, encore plus que la veille. Il sème le noir dans son sillage, l'abandonne, se libère petit morceau par petit morceau.

Déjà sept heures moins le quart lorsqu'il grimpe dans le bus. Il arrive bien plus tard que d'habitude, loin d'être le premier. Il récolte quelques regards intrigués qu'il sent à peine l'effleurer avant de gagner sa place ; Taeyoung n'est pas encore là. À croire qu'il ne prend même plus la peine d'arriver en avance pour passer du temps avec Sangmin. Compréhensible vu le traitement qu'il lui a infligé ces deux dernières semaines...

Sangmin ne quitte pas l'horloge des yeux. Pourquoi est-il venu jusqu'au lycée ? Pourquoi n'a-t-il pas attendu dehors que sa mère et Jumin s'en aillent pour rentrer ? Pour voir Taeyoung, certainement. Son sourire éblouissant qui lui manque tant. Peut-être même sentir la chaleur et la douceur de sa paume. Sur son épaule, contre sa main, peut-être même à nouveau sur sa cuisse. N'importe où.

Huit heures vingt, Taeyoung arrive enfin. Il passe à côté de Sangmin sans qu'ils ne s'adressent un regard, mais ses doigts effleurent le dos de la main de Sangmin, posée sur la table. Frisson incontrôlable. Ce n'est pas ce qu'il a espéré, mais il peut quand même sentir une once de ce sentiment indescriptible qui menace d'exploser dans son ventre. La tête dans les mains, il déglutit péniblement. Ce matin, il n'a même plus la force de pleurer.

La matinée passe lentement, bien trop lentement. Sangmin écoute encore moins, il ne peut qu'observer l'horloge, suivre les aiguilles des yeux. La présence de Taeyoung dans son dos lui donne un peu de courage ; il meurt d'envie de se retourner, de croiser son regard, d'admirer son visage, ses lèvres pulpeuses et si bien définies. Jamais il n'a vu un garçon avec un arc de cupidon aussi net et précis. Imprimer à tout jamais son image au fond de ses yeux, au fond de son cœur.

Il ne peut pas. C'est au-dessus de ses forces, et l'une des choses qui pourra le faire changer d'avis. Il s'est promis de ne penser qu'à lui, d'aller au bout de sa décision, ce n'est pas le moment de renoncer.

À la pause déjeuner, Taeyoung tente d'entraîner Sangmin avec lui. D'une voix fade, éteinte. Même le sourire qu'il lui adresse l'est. Sangmin n'ose pas imaginer l'état de son regard ; il le repousse d'un signe de tête et passe la pause seul dans la classe, à se demander quand partir. Maintenant ? Croiser du monde dans la cour pour le retenir ? Attendre que les cours reprennent et que le lycée soit vide ? Voir une dernière fois Taeyoung... ?

Son sac est fermé, plus rien ne traîne sur sa table quand l'après-midi commence. Il pourrait se faufiler hors de la salle pendant que tout le monde y entre. Il aurait dû. Désormais il se sent coincé, avec la présence de son professeur d'histoire et le regard de Taeyoung qui continue à peser terriblement lourd dans son dos.

Treize heures vingt-trois.

Arrêter de penser aux autres. Verrouiller son esprit.

Sangmin attrape son sac et se lève ; sa chaise racle à peine le sol. Sans un regard vers qui que ce soit, il quitte la pièce, ignorant même les interpellations de M. Ji qui tente de le retenir. S'engouffrant dans la cage d'escalier, Sangmin le laisse au milieu du couloir. Un frisson remonte son dos. Quelle image il va laisser de lui...

Peu importe, il n'en saura rien.

Une heure plus tard, Sangmin est de retour chez lui. Il récupère des feuilles de papier et un stylo avant de s'asseoir à la table de la cuisine. La seule chose qu'il ne fera qu'à moitié pour lui et à moitié pour les autres, aujourd'hui. Écrire, raconter, expliquer. À Taeyoung. À Jaehyun. À maman et Jumin.

Sans même prendre la peine d'organiser les pensées qui se bousculent au bout de sa mine, il écrit. Rature sur rature, tache sur tache. Traces de larmes. Il a finalement encore assez d'énergie à mettre dans des larmes, maintenant qu'il est seul avec lui-même, seul avec tout son intérieur qui ressort enfin vers les autres.

Le temps s'est écoulé bien trop vite, cette fois-ci, il ne lui reste que peu de temps avant que Jumin ne rentre du collège. Il plie soigneusement les feuilles, tâchant de ne pas faire baver plus encore toute l'encre qu'il a versée, et s'accorde quelques minutes pour se calmer.

Impossible.

Les jambes tremblantes, il rejoint la chambre de sa mère. Il attrape un foulard posé sur sa commode, l'un des derniers qu'elle a portés, et en hume le parfum. Fleur d'oranger douce et rassurante, synonyme de réconfort et d'amour. Une odeur qui l'enveloppe comme une couverture chaude et bienveillante, accompagnant les bras aimants de Sarang, sa mère dont le nom même signifie amour.

Jamais elle ne lui pardonnera.

Il presse le foulard contre son visage, noyant le tissu de ses larmes. Il ne sera pas seul, aura l'impression de toujours avoir sa mère à ses côtés, de sentir ses bras autour de son maigre corps, parfois le fantôme d'un baiser sur la joue.

De retour dans la cuisine, Sangmin s'arrête un long moment face aux plaques de cuisson. Le foulard désormais serré contre son cœur, il décide qu'il est plus que temps s'il ne veut pas se faire surprendre. Seize heures vingt-et-une, il a bien trop traîné. Une poêle, du charbon de bois, allumer la plaque.

Un dernier regard à la fenêtre ; le ciel bleu se couvre de nuages gris. Il apportera la pluie, comme si le ciel s'apprête à pleurer avec lui, avec Jumin qui sera sûrement la première à le voir. C'est inhumain de lui infliger ça. Lui non plus ne se pardonnera jamais.

Sangmin se blottit dans le coin des meubles de la cuisine, entre l'évier et les plaques. Déjà nauséeux et pris de migraines, il serre plus fort le foulard de sa mère contre son cœur, à bonne distance de son nez. Ça lui suffit pour sentir les effluves de fleur d'oranger. Retenant au mieux ses larmes, il prend une profonde inspiration.

Respirer.

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