Chapitre 7

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Le vent soufflait doucement ce jour-là, et les oiseaux volaient vers le nord. Les années précédentes, douze martinets noirs et trois huppes passaient au-dessus de moi. Aujourd'hui, je ne comptais que quatre martinets. Les autres n'étaient pas encore là.

J'attendais sur cette colline l'arrivée des oiseaux pour éviter l'ennui. Chaque jour était le même depuis qu'elle avait disparu.

Qui sait combien d'années sont passées depuis...

Le soleil était déjà bien haut dans le ciel. Sa chaleur rassurante me caressait la peau et sa lumière étincelante éclairait l'herbe fraiche. Loin du bruit de la ville et des enfants qui crient, je sortis ma flute et la plaçai entre mes lèvres, fermant les yeux. Je réfléchis une seconde à la mélodie qui allait sortir de l'instrument avant de souffler vraiment.

Pourquoi réfléchissais-je même ? Le choix du chant était toujours pareil. J'avais tellement d'espoir en jouant ces couplets que je ne pouvais me permettre autre chose.

Et si un jour elle revenait ? Que lui dirais-je ?

Il fut un temps où les ombres me parlaient. Une ombre, plus précisément. Elle parlait, riait et pleurait. Mais elle finissait toujours par chanter. Cette chanson, je ne l'aimais pas. À chaque fois que je l'entendais de sa bouche, elle disparaissait ensuite et je ne savais jamais quand est-ce qu'elle allait resurgir.

Je n'étais qu'un enfant à l'époque. Tout ce que je voulais, c'était jouer et écouter mon amie, l'ombre. Le désespoir m'emparât complétement quand je me rendis compte qu'elle n'allait plus jamais revenir.

Un jour, tu reviendras, j'en suis sûr. Mais quand cela arrivera, sauras-tu me reconnaitre ?

Mon souffle fusionnait avec la brise qui caressait mes cheveux, et le son de ma flute résonnait dans l'air, léger comme un murmure, se mêlant aux ramages des oiseaux. Pendant un instant, le temps s'était suspendu.

Les oiseaux cessèrent de chanter quand on entendit l'herbe s'écraser sous les pas d'un visiteur, derrière moi.

Un enfant curieux.

Il ne disait rien, écoutait seulement. Je continuais de jouer quand il prit la parole, en plein milieu de mon récital.

– D'où vous connaissez cette musique ?

Une femme curieuse ?

J'ouvris les yeux et me retournai soudainement pour voir qui était la personne m'interrompant. Le ton ferme de la femme m'indiquait clairement qu'elle n'était pas d'humeur joviale, voir même radicalement agacée. Cependant, Je ne pouvais me fier qu'à cela.

Je sentis un bonheur incontestable m'envahir quand je vis le retour de l'ombre -avec quelques centimètres en plus. Cette dame n'était pas une dame, mais bien l'amie que j'attendais depuis des années. Elle était enfin là à nouveau, devant moi, et me parlait véritablement ! J'en lâchai ma flute tellement le choc était pur.

Suis-je devenu fou ?

– Tu es revenue... murmurai-je.

J'approchai mon bras, tremblant, vers la forme de son épaule pour vérifier si je ne rêvais pas, mais cette dernière me repoussa d'un revers de la main et recula avant même que je ne la touche.

– C'est une blague ? reprit-elle. Je vous ai posé une question.

Progressivement, l'ombre commença à prendre la forme d'une véritable dame : une jeune femme ravissante, aux traits fins et au regard glacial, recouverte d'un long manteau à capuche. Cela ne s'était jamais produit auparavant mais ce n'était pas le plus gros problème. Elle était blessée. Ses mains étaient brulées et sa joue éraflée.

– Que vous est-il arrivé ? demandai-je en regardant ses mains.

Le spectre ne répondit pas. Elle semblait se méfier de moi comme de la peste, attendant seulement que je réponde à sa question.

– Y a que les idiots pour répondre à une question par une autre question.

Son toupet me laissa sans voix. Traiter quelqu'un de la sorte dès la première rencontre était une chose bien osée.

– Cette mélodie est...

Je passai une main à travers mes longues mèches, évitant son regard. J'ignorais ce qu'il se passait et cela me frustrait.

– Elle est très ancienne. Je n'en connais les origines, malheureusement.

Soudain, je me souvins de ce visage. Malgré son air sévère, je reconnu la figure angélique et innocente de notre chère Vélum. Seulement, elle ne se comportait pas vraiment comme celle qui existait parmi nous. J'avais l'impression de faire face à une toute autre personne.

– C'est votre tour maintenant, repris-je avec le sourire, n'est-ce pas ?

– Quoi ?

Je me mis à genoux juste devant elle pour récupérer ma flute.

– Je me demande qui est l'idiot désormais.

Je vis la femme serrer ses poings. Ce n'est qu'à cet instant que je remarquai la fiole qu'elle tenait dans sa main. Je fronçai les sourcils, concentré sur ses blessures.

– Mademoiselle...

Je lui pris doucement les doigts pour observer de plus près.

– Que s'est-il passé ?

Elle retira brusquement sa main, comme si j'étais celui qui lui avait provoqué ces brulures.

– Ça vous regarde pas.

Elle recula de quelque pas alors que je me levais. Elle montait sur la colline de mauvaise humeur, elle repartait de cette colline d'humeur bien pire, et ce, à cause de moi.

– Je m'excuse. Je ne voulais pas vous offenser. Seulement, c'est inquiétant, vous ne pouvez le nier.

Elle haussa un sourcil. Je continuai pour ne pas l'effrayer plus qu'elle ne l'était sûrement déjà.

– Je suis Orion Pyrecrest. Sachez que votre présence ici même a ravivé la flame de mon allégresse que je croyais éteinte à tout jamais.

Suite à ma déclaration, son visage se contracta. Elle fronça si fort ses sourcils que des rides se formèrent sur son front, retroussa son nez involontairement et plissa ses yeux de manière sceptique. Sa réaction était si honnête qu'elle me blessait presque.

– Vous êtes surtout fou, fit-elle en reculant.

Je sentis réellement une chaleur agréable monter jusque dans ma poitrine. Pour l'instant, elle me prenait pour un déséquilibré, mais ce n'était qu'une question de temps avant qu'on ne reprenne nos discussions d'antan.

Je la regardais s'en aller, ne pouvant rien faire d'autre. Tout avait changé chez cette Nefeli, jusqu'à sa manière de s'habiller. Je me demandais qui avait bien pu faire disparaitre la candeur de l'héroïne.

Quelle agréable surprise. 

Gabrielle : Choisie par le livreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant