Chapitre 1: L'abandonnée

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Je m'appelle Zéphyr. Je suis en troisième. J'ai redoublé une fois. Ma mère m'a toujours dit que j'étais une ratée. Elle n'avait pas tort. Je suis un déchet. Mes parents ne m'ont jamais aimé. Ils ont toujours préféré mon petit frère Paul. Petit, mignon, intelligent, il a tout pour leur plaire. Moi, je suis l'ombre dans laquelle il brille, une ombre délaissée et oubliée.

Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j'ai toujours été invisible. À l'école primaire, mes dessins étaient toujours moins bons que ceux de Paul, mes notes toujours un peu moins bonnes. Je me souviens d'un jour en particulier, où j'avais passé des heures à préparer une maquette de volcan pour un projet de sciences. J'étais si fière de moi. Mais quand je l'ai montrée à mes parents, tout ce qu'ils ont dit était : "Paul aurait pu faire mieux." Cette phrase m'a hantée pendant des années.

Je me rappelle aussi de toutes ces soirées où je tentais désespérément d'obtenir un peu d'attention de ma mère. Elle était souvent assise dans le salon, une cigarette à la main, un verre de vin à portée de main. J'entrais timidement, mon carnet de dessins à la main, espérant qu'elle regarde mes créations. Mais chaque fois, elle détournait le regard, soufflant une bouffée de fumée en disant : "Pas maintenant, Zéphyr. J'ai besoin de me détendre."

Mon petit frère n'a pas empêché ma mère de partir

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Mon petit frère n'a pas empêché ma mère de partir. Ma mère... Je me souviens encore du jour où elle est partie. Il pleuvait à verse. Je regardais par la fenêtre du salon, voyant sa silhouette se fondre dans le brouillard, une valise à la main. Elle n'a laissé qu'une lettre, adressée à mon père, mais je ne sais pas ce qu'elle contenait. Mon père a brûlé la lettre dans la cheminée le soir même. Il s'est toujours occupé de nous, enfin, théoriquement. Il rentrait toujours aux alentours de 21 heures. Je ne le voyais quasiment jamais. Les seuls jours où il prenait des congés, c'était pour rester cloîtré dans son bureau pour s'occuper de ses "actions en bourse" ou bien faire une sortie avec mon frère mais jamais avec moi.

Après le départ de ma mère, la maison est devenue encore plus silencieuse. Mon père, autrefois distant, est devenu presque inexistant. Il passait ses journées enfermé dans son bureau, les yeux rivés sur son ordinateur, parlant à peine. Le seul son qui rompait le silence était le cliquetis des touches de son clavier et le bourdonnement occasionnel de son téléphone. Il ne fait jamais attention à moi. La semaine dernière, il a même oublié mon anniversaire. Mélanie me dit que ce n'est rien et qu'il a sûrement dû décaler la date de quelques jours dans son agenda. Mélanie, c'est ma meilleure amie. C'est aussi la seule que j'ai.

Il faut dire que je ne suis pas la fille la plus populaire de ma classe. Je me fais pitié. Pas aux autres apparemment. Ils aiment bien m'embêter. Je leur ai déjà dit d'arrêter mais ils ne m'écoutent pas, personne ne m'écoute. Je suis même allée voir la directrice pour lui raconter, mais elle ne m'a pas cru. Selon elle, c'est moi qui invente tout et qui fais ma victime. Peut-être qu'elle a raison. Peut-être que tout est de ma faute.

À l'école, c'est un véritable enfer. Les autres élèves m'ignorent ou se moquent de moi. Un jour, en cours de gym, ils ont décidé de cacher mes vêtements pendant que je prenais ma douche. J'ai dû emprunter une vieille tenue de sport trouvée dans les objets perdus. En cours, les chuchotements et les rires étouffés ne cessent jamais. Les professeurs, eux, ferment les yeux, préférant ne pas voir ce qui se passe. La directrice, Madame Fournier, est la pire. Je suis allée la voir après été lynchée une fois de plus. Elle m'a regardée par-dessus ses lunettes et a dit : "Zéphyr, tu dois arrêter de chercher l'attention. Les autres élèves ne sont pas méchants, c'est toi qui interprètes mal leurs actions." Ces mots m'ont brisée. Peut-être qu'elle a raison, peut-être que tout est de ma faute.

Aujourd'hui, ils m'ont enfermée dans un placard à balais.

Le placard était petit, sombre, et sentait le moisi. Les heures passées là-dedans ont semblé une éternité. Chaque minute, chaque seconde était un supplice. J'entendais les rires et les voix étouffées de mes camarades de l'autre côté de la porte. Quand Mélanie m'a enfin trouvée, j'étais à bout de forces, en larmes. Elle m'a aidée à sortir, m'a pris dans ses bras, mais je pouvais voir l'inquiétude dans ses yeux. Elle ne savait pas quoi faire pour m'aider.

J'avais encore des cours mais je suis rentrée chez moi. Par moment, j'ai vraiment envie de disparaître, de ne plus exister pendant un moment, de mourir. Après tout, qui est-ce que ça dérangerait ?

Vu que je suis rentrée plus tôt des cours, il n'y a personne à la maison. Je me suis enfermée dans ma chambre et j'ai remis mon petit panneau "ne pas déranger" sur ma porte. Je l'utilise souvent quand mon idiot de frère est à la maison.

Ma chambre est mon sanctuaire, le seul endroit où je me sens en sécurité. Les murs sont tapissés de posters de groupes de musique et de dessins que j'ai faits. Mais aujourd'hui, même cet endroit me semble hostile. Je m'assois sur mon lit, fixant le tiroir. À l'intérieur, il y a une corde, épaisse et rugueuse. Je l'ai trouvée dans le garage il y a des mois. Depuis, elle est là, attendant que je trouve le courage de l'utiliser bien que j'y ai pensé tellement souvent.

Je pense que je vais le faire.

J'ai pris une des vieilles piles de livres qui traînent toujours dans un coin de ma chambre. J'ai sorti l'épaisse corde que je gardais cachée dans mon petit tiroir. Je l'ai attachée à la vieille poutre qui traverse ma chambre. Je l'ai nouée solidement et je suis montée sur la pile de livres. J'ai mis ma tête dans la corde et j'ai fait tomber les livres.

La douleur est instantanée, écrasante. Mon corps se débat instinctivement, cherchant de l'air. Les larmes me montent aux yeux, brouillant ma vision. Je pense à Mélanie, à Paul, à ce que je laisse derrière moi. Mais la douleur est trop forte, trop présente. Je sens mes forces m'abandonner, la conscience m'échapper.

Pourtant, la douleur, intense et brûlante, ne s'est pas atténuée. Au contraire, elle a augmenté, chaque seconde passant semblait durer une éternité. Mon souffle est devenu de plus en plus laborieux, chaque inspiration me lacérant la gorge. Les souvenirs de ma vie me traversaient l'esprit, flous et déformés par la souffrance.

Je me suis souvenu de ma mère, avant qu'elle ne parte. Je me souvenais de ses cheveux noirs et brillants, de son sourire éclatant quand elle nous racontait des histoires avant de dormir. Paul et moi, blottis contre elle, écoutions avec émerveillement ses récits d'aventures et de mondes lointains. C'était avant qu'elle ne se mette à boire, avant que ses yeux ne deviennent vitreux et que son sourire ne disparaisse.

Je me souviens de la première fois que mon père m'a ignorée. J'avais cinq ans et j'avais dessiné une maison avec toute notre famille. Je l'avais montré fièrement à mon père, espérant une accolade, un mot de félicitation. Mais il n'a même pas levé les yeux de son journal. "Plus tard, Zéphyr", avait-il marmonné. Mais ce "plus tard" n'est jamais venu.

Mais jambes n'ont plus la force de bouger, je ne vois plus rien, je n'ai plus mal.

Je crois que je suis morte.

Les conséquencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant