PROLOGUE

60 5 21
                                    

NB : N'hésitez pas à mettre les sons en bannière pendant votre lecture :)


Deux ans plus tôt, Denver.

- Madame Fox, pouvez-vous nous raconter votre soirée du samedi 14 juin 2018 en incluant les détails de vos déplacements ?

L'agacement fait rage en moi, une marée montante implacable et inexorable. Mes mâchoires se serrent malgré moi, tellement que je ressens la chaleur de l'irritation enflammer mes joues. J'ai envie de hurler qu'on me laisse tranquille, de frapper n'importe quoi pour libérer cette tension oppressante qui menace de me faire exploser.

Laissez-moi tranquille...

- Ça fait déjà quatre fois que je vous raconte ma soirée... Garrick, je lis son prénom sur son uniforme de police en plissant les yeux et en appuyant le ton sur son prénom.

Il laisse son corps retomber contre le dossier de la chaise en face de moi, les bras croisés. Son regard est perturbateur mais je ne fléchirai pas non plus.

Je n'ai rien d'autre à ajouter, si ce n'est que j'étais chez moi le jour de sa mort. Je m'en veux suffisamment pour me permettre de passer outre l'accusation de la police. Au lieu de me permettre d'entamer mon deuil, de préparer les cérémonie mortuaires ou bien de pleurer avec sa famille, ce putain de policier m'interroge depuis plus d'une heure. J'ai beau lui répéter la même chose, il ne me lâche pas la grappe.

Bien que ce soit la procédure, je n'ai pas besoin d'être comprimée dans cette salle terriblement stressante avec un policier qui m'accuse de... quelque chose dont j'aurais pu éviter, c'est vrai.

Mais je ne suis pas coupable de sa mort.

Ou du moins, pas directement...

- Pourquoi n'êtes-vous pas allée la rejoindre après l'appel téléphonique reçu à 17h34 sur votre smartphone, lorsqu'elle demande de l'aide ?

Le silence.

Laissez-moi tranquille...

- Vous avez l'enregistrement de la conversation, pourquoi vous ne me croyez pas ?

Il souffle.

- Je n'ai jamais dit que je ne vous croyais pas, Madame Fox. En revanche, la procédure implique un examen complet des suspects et le retracement des émetteurs technologiques. Vous étiez la personne qu'elle côtoyait le plus, ce qui fait donc de vous, une suspecte. J'aimerais vous dire Madame Fox qu-

Je décroche. Je n'y arrive plus.

C'est trop.

Je viens de perdre la personne la plus chère à mes yeux et je suis vouée à écouter les paroles de Garrick sans toutefois l'aider plus en détail.

Parce que je ne suis pas coupable.

Je ne suis pas coupable.

JE NE SUIS PAS COUPABLE.

J'ai beau me répéter cette phrase en boucle, mon esprit n'y croit toujours pas. Bien sûr que je suis responsable.

Ma respiration s'affole et je ne contrôle plus rien, j'ai envie de vomir, de pleurer et de partir en courant dans la même seconde. Je vois vaguement Garrick parler mais je ne l'entends pas. Je suis pétrifiée, mes mains tremblent et des larmes commencent à se former dans le coin de mes yeux. Lorsque Garrick prend conscience que je perds peu à peu le contrôle qui m'habite, il hausse d'abord le ton en m'appelant mais ses paroles ne m'atteignent toujours pas. Il me secoue les épaules pour que je le regarde et lorsque je le fais, je vois ma propre détresse dans le reflet de ses pupilles aussi noires que mon âme.

- Ce n'est pas grave, on va vous ramener chez vous. Nous reprendrons l'interrogatoire plus tard, me dit-il en me relevant de la chaise sur laquelle j'étais assise, sa main accrochant mon bras pour que je le suive.

Mon corps n'est qu'une marionnette toutefois je retrouve peu à peu l'usage de mes membres et l'endroit où je suis fait clignoter un néon rouge dans mon esprit. 

Tu es coupable.

Tu es coupable.

Tu es coupable.

Durant les cinq prochaines minutes, Garrick et d'autres personnes me donnent à boire, une barre chocolatée et me laissent ensuite paître devant le poste de police en m'indiquant seulement qu'un taxi vient me chercher et qu'ils m'appelleront pour que je revienne.

Sauf que Judith Fox ne reviendra plus.

Parce que Judith Fox n'est plus depuis sa mort.

***

Son corps semble froid au toucher mais je n'ose pas m'approcher plus que je ne le suis déjà. Son visage autrefois plein de vie et d'expressions est maintenant figé dans une tranquillité presque artificielle et qui provoque en moi un frisson désagréable. La poitrine endommagée par l'autopsie me donne la nausée mais je la ravale aussitôt. Des contusions et des marques peuvent encore se voir sur son corps grisâtre que j'imagine être un mélange entre les procédures effectuées par l'autopsie mais aussi par ce qu'il s'est passé, là-bas.

Là où je n'étais pas.

Le chagrin remonte encore dans ma gorge mais les larmes ne coulent pas - ne coulent plus - et mon coeur se serre à la pensée de son sourire qui n'est maintenant plus visible. La scène est à la fois macabre et solennelle, marquée par une confrontation directe avec la mortalité qui imprègne son corps et ma présence à ses côtés.

Ses cheveux argentés sont la seule pièce de son corps qui semble intacte. Toujours soyeux, bien coiffés. Je m'approche plus près de son visage afin d'entrevoir ses yeux vairons mais je ne les vois pas, je ne les verrais plus jamais.

Ses yeux clos me le prouvent parfaitement.

Une larme perle finalement sur ma joue mais je ne l'arrête pas. Je la laisse couler jusqu'à ce qu'elle tombe sur la joue de mon amie, en cage d'excuses. Pour qu'elle comprenne que je suis désolée et que je l'aime tellement.

Du coin de l'œil, j'aperçois la boîte avec les affaires personnelles qu'elle avait avant... son décès.

Je me redresse donc et la prend dans mes mains en fouillant rapidement dedans. Il n'y a pas grand chose, seulement son téléphone, son sac à main dans lequel dépasse son porte-monnaie et un stylo.

Et sa broche.

Cet objet familial auquel elle tenait tant est maintenant déchu d'un propriétaire portant le nom Davis.

Une jolie broche contenant un diamant en son centre, un peu rayée avec les années. Le reflet de mes yeux gris dans ce métal ne me laisse pas le choix de débattre sur la question qui fait maintenant rage dans mon esprit.

Je m'approprie cet objet, je ne peux pas le laisser disparaître comme son âme ou permettre à quelqu'un de venir le récupérer.

Même si je sais qu'elle ne m'en voudra pas pour ce qu'il s'est passé, moi je m'en veux. Toutefois, je sais qu'elle aurait voulu que je la garde.

Alors me voilà en train de sortir de cette salle d'autopsie, une cascade de larmes dévalant finalement mes joues jusque dans mon cou sans que je ne les arrête, à prier les dieux pour qu'ils l'accueillent au paradis.

- Je suis désolée... je chuchote tout en sortant sous la pluie, le cœur fracturé.

Et la broche de ma meilleure amie dans les mains.

Run AwayOù les histoires vivent. Découvrez maintenant