Aryanna

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Encore un énième dîner d'affaires, ça n'en finissait pas.

Ma famille et moi sommes dans un restaurant huppé du centre-ville de l'île. Nous sommes accompagnés d'un couple de personnes âgées que je ne connais pas. Mais quelle importance ? Je ne suis pas ici pour connaître qui que ce soit. Je dois être belle, silencieuse et souriante. Le tableau qu'on m'a toujours appris à brosser.

Assis à côté de moi, Leonardo a une main posée sur ma cuisse. Son geste peut paraître affectueux, mais ce n'est qu'une façade, l'affection d'un frère ne devrait pas atteindre un niveau aussi malsain.

Il me touche constamment, même quand nous sommes en public. C'est sa façon bien à lui de me rappeler que je lui appartiens. Il me le dit constamment, comme si ses actes n'étaient pas assez éloquents.

Je suis une chose en sa possession. Il est mon maître.

Il fait en sorte de tout contrôler dans mon existence : les vêtements que je porte, ma coiffure, les amis que je fréquente. Même l'homme avec qui je sors n'est qu'un pion sur l'échiquier de mon jumeau. Et ça ne changera jamais, je suis seule face au loup. Je regarde autour de moi sans jamais m'attarder sur rien. C'est beau et très lumineux, mais dans mon regard, tout paraît sombre et laid. Tout est toujours sombre et laid. Comme l'enfer.

– Aryanna, je comprends beaucoup mieux pourquoi vous êtes aussi maigre.

Je ferme brièvement les yeux suite au commentaire de madame Sherman, la femme de l'associé de mon père. Que dois-je répondre à ça ? Mais si je ne dis rien, ils vont prendre ça pour un affront.

– Pardon ?

– Vous n'avez pas touché à votre assiette. Ce restaurant est connu pour l'excellence de ses chefs étoilés. Goûtez au moins, vous allez adorer.

J'écoute ce qu'elle dit. Et j'entends ce qu'elle ne dit pas. "Vous avez la chance de goûter un dîner cuisiné par un chef étoilé et vous n'en profitez pas, vous ne profitez pas de vos privilèges." Je me crispe face au regard mauvais que me lancent mes parents, mais je me force à sourire à mon interlocutrice.

– Je vous remercie.

Je commence à manger alors même que je n'en ai pas envie. Elle ne pouvait pas se contenter de parler de la pluie et du beau temps et me laisser tranquille ? Heureusement pour moi, son mari introduit le sujet des fluctuations économiques que nous subissons ces derniers temps.

La conversation devient tout à coup intéressante quand Leonardo commence à parler de l'incident d'il y a cinq jours avec le professeur de mathématiques. Je redresse la tête et l'observe mentir avec sa dextérité habituelle.

– De nos jours, les gens n'acceptent pas leurs torts. C'est aberrant. Je l'ai repris sur une erreur qu'il a faite, il s'est emporté et m'a mis hors de la classe.

– Et vous êtes sorti ? s'indigne madame Sherman.

Mon frère hoche respectueusement la tête.

– Naturellement, c'est mon prof après tout, je lui dois respect.

– Vous avez là un garçon formidable.

Elle complimente mes parents.

– C'est inacceptable, l'éducation de nos enfants ne doit pas être confiée à des incompétents, commente monsieur Sherman, sa femme acquiesce avec ferveur.

Mon père est sur le point de répliquer quand une voix retentit.

– Les choses ne se sont pas passées comme ça.

Je mets quelques secondes à comprendre que c'est moi qui ai ouvert la bouche. Bon sang, mais qu'est-ce qui m'a pris ?

– Je te demande pardon ?

L'exécuteur 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant