Vendredi 21 juin 2024

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J'ai été extraite de ma cellule aux aurores ce matin alors que mon parloir avec Tim n'est qu'en début d'après-midi. Je compte les jours depuis deux semaines et je vis uniquement pour ce moment. Ce sont ces instants là qui me maintiennent la tête hors de l'eau, ici.

Lorsque la gardienne est venue me chercher, je dormais encore que ce qui me sert de couchette. J'assimile plus ça à une planche en bois recouverte de draps qu'à un lit mais on est bien obligé de s'y habituer. Je me souviens avoir regardé à travers la fenêtre obstruée de barreau de fer et ça m'a confirmé ce que je ressentais : ce n'était pas un réveil normal puisque les rayons du soleil perçaient à peine. Il était bien trop tôt.

Autre élément particulier : la gardienne ne s'intéresse qu'à moi. Monique, ma « camarade de chambre » n'a pas été réveillée. Je l'en remercie : elle n'est pas très commode si elle n'a pas ses huit heures de sommeil. Monique est une femme d'une quarantaine d'années et elle est plutôt renfermée, discrète. Elle m'accorde mon espace, je lui laisse le sien. Je ne lui ai pas demandé pourquoi elle était là, elle ne l'a pas fait non plus. J'essaie de rester dans mon coin, de faire mon temps sans m'attirer d'ennui.

Depuis soixante-neuf jours, j'ai officiellement perdu mon identité : je ne réponds plus qu'au matricule « 5478 » ou alors « Détenue », tout dépend de la gardienne. Elles ne sont pas tendres avec nous et certaines sont plus féroces que d'autre. L'une d'elles, une rousse au nez en trompette et aux cheveux gras, ne sourit jamais et adore nous priver de promenade pour un oui ou pour un non tandis qu'une autre nous en accorde volontiers quelques minutes supplémentaires contre des informations. Chacune d'elles a son « petit truc ». Moi, j'évite de les regarder dans les yeux la plupart du temps.

Sincèrement, je ne pensais pas que la prison serait aussi dure. Pourtant, il m'aurait suffi de regarder autour de moi pour comprendre que je ne suis pas dans un hôtel de luxe. Les murs, d'un gris sale, retracent aisément toute l'histoire de cette cellule et toutes les femmes qui ont dormi ici avant moi. À certains endroits, il y a des marques, des griffures. Parfois, le plâtre est un peu enfoncé comme si quelqu'un avait enfoncé son poing dedans. C'est comme ça, ici. Tout n'est que violence et saleté.

Je n'aurais jamais imaginé que la mer me manquerait. Je ne l'ai vu qu'une fois ou deux dans ma vie et pourtant, aujourd'hui, je donnerais tout pour un horizon d'eau salée et la chaleur d'un soleil caniculaire sur ma peau.

Ici, dans les murs mornes de cette prison, nous sommes toutes habituées aux mauvais traitements alors, lorsque Cheveux Roux m'a violemment ceinturé ce matin alors que j'avais à peine ouvert les yeux, je n'ai pas bronché. Il ne faut surtout pas riposter, les gardiennes n'attendent que ça pour nous envoyer croupir quelques jours en quartier sécurisé. J'ai réussi à y échapper pour l'instant mais l'éclat que je vois dans les yeux de celles qui en reviennent ne me donne absolument pas envie de tenter l'expérience.

Ne pas riposter. C'est une des premières règles que l'on apprend, ici.

Cheveux Roux m'a sortie dans le couloir et mes mains ont été menottées. Je n'ai posé aucune question et pourtant, mon esprit à commencé à angoisser sur toute sorte de scénario qui pourrait justifier une extraction comme celle-ci. Aucun d'eux n'était réjouissant. Cheveux Roux m'a conduite dans la salle des parloirs et, toujours sans un mot, elle m'a menotté à ma chaise ce qui n'est pas courant. En général, nous avons les mains libres pour les visites.

Ne pas broncher. Ne pas réagir. Faire mon temps. Ça passe surtout par le fait de gérer mes émotions et essentiellement ma colère.

De la colère, je n'ai pratiquement que ça en moi. Depuis le jour de l'incendie de l'usine, j'ai du mal à me contenir. J'ai envie de hurler à chaque seconde, de frapper tout ce qui bouge. La seule chose qui me fait tenir, c'est Timothée : mon petit frère. Ma lueur d'esprit dans ce monde désormais gris et terne.

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