Vendredi 28 juin 2024

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Je n'ai absolument rien à faire ici. Je ne me sens pas à ma place du tout et ça se voit.

La loge dans laquelle je suis est gardée par deux policiers qui me scrutent en permanence. Je me sens observée, traquée. Déshumanisée. Ça dure depuis mon placement à l'isolement.

Je n'ai pas parlé à un être humain depuis des jours et je suis dans une tension constante sans réellement savoir pourquoi. Le stress ne me quitte plus depuis que j'ai accepté cette émission et ce soir, c'est le grand soir : tout va enfin commencer. Depuis ce matin, j'ai été transférée dans le studio de Doricom puis j'ai été enfermée dans cette loge plus que sommaire : il y a simplement une table avec quelques bouteilles d'eau auxquelles je n'ai pas touché ainsi qu'un canapé. Il n'y a aucun miroir au mur si bien que, malgré la préparation physique des maquilleuses et habilleuse, je ne sais même pas à quoi je ressemble. La lumière est jaunâtre et faible et, quelque part, je sais que cette pièce n'est que l'extension de ma cellule. Je me demande si les civils ont la même loge que nous...

Mon avocate, Heidi, est ici mais elle ne m'a pas adressé un mot. Elle relit pour la dernière fois la montagne de paperasse relative à ma participation et elle semble aussi angoissée que moi. Cette expérience est inédite pour elle aussi. Je préfère ne pas la déranger.

J'ai l'air ridicule dans cette robe en tulle beige. Ce n'est même pas la mienne, on me l'a enfilé à la seconde où j'ai pénétré dans cette pièce et je n'ai pas eu mon mot à dire. En moins de vingt minutes, on m'a tartiné une tonne de maquillage sur le visage et on m'a frisé les cheveux. Je ne peux même pas voir le résultat mais je me sens complètement déguisée.

La seule chose que j'ai eue le droit de choisir, ce sont mes bijoux et j'ai recouvert chaque parcelle de peau de mes mains avec des bracelets et des bagues avec un seul et unique objectif : dissimuler mes cicatrices et mes brûlures : je dois cacher ses marques à tout prix. Si quelqu'un dans l'émission les remarque, c'est retour immédiat à la case prison. Le coup de poignard que j'ai reçu sur la cuisse se dissimule facilement, lui.

Je me prends à rêver à la libération. C'est une chance unique, quelque chose que je ne dois pas rater. Pour Tim. Même s'il y a peu de chances que je gagne ce jeu stupide, je dois la tenter. La grâce totale, c'est affreusement alléchant mais je ne suis pas bête : Garance n'a aucune bonne intention.

« Tout m'a l'air bon, m'informe Heidi. Le contrat est en règle.

Je hoche la tête et l'angoisse monte en moi. Je n'ai pas la tête à discuter contrat et paperasse. Mon avocate a ma confiance aveugle : elle s'est battue pour moi comme personne et ceux, dès le premier jour. Pourtant, je sais qu'elle est très inquiète, je le vois dans ses yeux. Elle m'attrape alors les bras et me dit, les sourcils froncés :

- Sofia, est-ce que tu es sûre de toi ? Je peux tout arrêter dès maintenant, tu n'as qu'un mot à dire.

- Heidi, arrête. Je suis déjà à deux doigts de me dégonfler, j'ai besoin que tu m'encourages...

- Je sais mais il faut que tu saches que lorsque tu seras à l'intérieur, je ne pourrais plus rien faire pour toi. Quoi qu'il se passe, je ne pourrais pas entrer en contact avec toi, et il n'y a aucune clause de rétractation.

Heidi s'approche de moi et son regard s'ancre au mien. À ce moment, plusieurs personnes font irruption dans ma loge et je reconnais Garance. Elle est entourée de plusieurs policiers qui me toisent.

- Alors Sofia, tu es prête ? Lance joyeusement Garance.

- On a besoin d'une minute, lui indique Heidi en lui adressant un regard mauvais.

- Non, intervins-je. Ça va aller.

Allez, Sofia. Courage.

Je m'approche une dernière fois d'Heidi et elle me prend dans ses bras en me donnant une étreinte forte.

RéinsertionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant