Réinsertion

Mercredi 3 juillet 2024

J'ai passé ma journée dans une litanie complètement paralysante et je n'arrive pas à me remettre de la simulation. Nous allions trouver un équilibre sur cette plage. Odette avait allumé le feu et nous venions d'avoir notre première livraison de nourriture : un peu de poisson et quelques légumes. Pourtant, en un clin d'œil, tout a basculé.

La simulation nous a tous rappelé pourquoi nous étions là, sur cette île et nous avons tous basculé dans une espèce de psychose. Tim a arrêté de respirer dans mes bras et son regard me hante.

Nous n'en avons que peu parlé entre nous, c'est comme un tabou. Même Odette est apparue affectée. La seule chose que j'ai réussi à lui tirer, c'est que nous avons été témoins de la même chose (la cour d'école, les crêpes, la kermesse) mais ce n'est pas Tim qu'elle a vu.

La production est capable de créer des illusions et des simulations abominables. Tout ça pour quoi, nous pousser dans nos retranchements ? Et bien ça fonctionne car tout le monde est tendu...

Lucas n'est pas revenu de la simulation. Nous étions quatorze à entrer dans les tubes et nous ne sommes que treize à en être revenu. Nous l'avons cherché, certain même toute la journée mais il est introuvable. Lorsque la bannière à son nom s'est spontanément embrasé, nous avons compris qu'il ne reviendrait pas : le jeu connaît son premier éliminé. Les spéculations sont allé bon train : Ninon a émis l'hypothèse que la mort d'un enfant ai été le crime de Lucas et qu'il n'ai pas supporté de le revivre. Pourtant, ça ne correspondait pas à l'âge de Lucas : il était bien trop jeune. Mes soupçons propres, concernant la kermesse, se porteraient plutôt sur une des doyennes : Joséphine ou Madeleine.

Contrairement au comportement extravagant et extraverti de ses premiers jours, Djamel s'est complètement refermé sur lui-même. Son regard est devenu complètement sombre et ce revirement ne me dit rien qui vaille. Désormais, il regarde tout le monde en chien de faïence, surtout Odette. Je crois qu'il la suspecte de quelque chose. Elle fait mine de ne rien voir mais je sais qu'elle a remarqué.

Samuel a semblé aussi affecté mais à une autre échelle que nous. Sa candeur et sa fraîcheur ont pris un coup, ça se voit sur son visage. J'aimerais tellement pouvoir le consoler, lui dire que tout va bien mais ça n'est pas le cas, nous le savons tous.

Comme depuis mon arrivée sur cette île, je n'arrive pas à m'endormir mais cette fois, c'est parce que j'ai des images de Tim dans la tête. À chaque fois que je ferme les yeux, je revois ses yeux se révulser et ses lèvres gonfler. C'est mon petit frère, et je l'ai senti mourir dans mes bras...

Dans le cœur de la nuit, la respiration de Samuel et Odette me berce, ainsi que le crépitement des flammes à l'extérieur. J'entends même les ronflements de Sullivan dans la tente en face. Pourtant, lorsque je tends légèrement l'oreille, j'entends autre chose : c'est une sorte de fredonnement. Ça m'intrigue pendant plusieurs minutes si bien qu'au bout d'un moment, je décide de me lever à pas de loup. J'essaie d'ouvrir la fermeture de la tente le plus discrètement possible et me faufile à l'extérieur de la tente. Quelqu'un est en train d'attiser et d'entretenir le feu en chantonnant et je me tapis dans l'ombre lorsque je me rends compte que cette personne, c'est Achille.

Il est dos à moi et ses cheveux clairs sont flamboyants avec la lumière du feu. Il est assis sur une pierre à côté du feu et remue les braises avec un bâton de bois.

Je l'observe un bon moment et je sens que quelque chose s'apaise dans mon cœur, alors que mes yeux suivent chacun de ses mouvements. Achille paraît détendu, serein. Je reconnais même le morceau qu'il fredonne : il s'agit d'une chanson que j'ai déjà entendu dans le film Mulholland Drive. Mon père adorait ce film...

Tandis qu'il continue à remuer entretenir le feu, Achille s'arrête de fredonner d'un seul coup. Il se fige et j'arrête de respirer de peur qu'il m'entende. Il reste ainsi quelques secondes, en silence.