J'avais installé mon campement entre deux dunes de sable. J'ai pu ainsi me reposer un peu plus longtemps. A vrai dire, la rudesse de la nuit était beaucoup plus difficile à endurer que l'aridité du jour. Une fois le soleil couché, le sable avait rendu sa chaleur en une heure à peine. Le ciel dégagé du coin, bien qu'il permettait de voir admirablement les étoiles, avait laissé filer tout ce que le soleil avait donné dans la journée. Mon paquetage, bien que prévu pour la pluie, m'avait permis d'avoir de quoi me couvrir pour garder ma propre chaleur. L'imperméabilité avait empêché le froid de me transir.
Le désert est finalement bien plus vivant la nuit que le jour. Les gors et jasks grouillent, et bruissent, rythmant la course lunaire dans la fraîcheur. Pour autant, en l'absence de réels visiteurs nocturnes, je pus profiter d'un sommeil qui reposa suffisamment les aventures de la veille, me permettant de tenir bon sous le soleil du jour.
Durant ma longue marche ensablée, je pus observer des stries qui traçaient un chemin entre les dunes, succédées de petits renfoncements ça et là, témoignant des derniers instants d'un zahr, dont subsistaient encore partiellement les trois métatosomes. Au regard de la taille de ses queues, ce petit jask devait être très jeune et encore fragile. Il paraît qu'un zahr adulte peut mesurer la taille d'un homme. Celui-ci devait très probablement être tout juste sorti de son œuf. Une aubaine pour un gor affamé à la recherche d'une proie facile.
En parlant de ce dernier, je ne mis pas longtemps à le trouver, enroulé sur lui-même dans l'un des renfoncements un peu plus loin, recouvert d'une fine couche de sable lui servant à se camoufler dans l'environnement. J'étais assez curieux, en l'observant, car ce spécimen était assez différent de son homologue des forêts. Ceux que j'avais l'habitude de croiser étaient plus courts, avec un corps robuste et trapu et des écailles rugueuses. Celui-ci était bien plus long et se distinguait par une capuche rétractable au niveau de la tête et un corps plus élancé. Outre leur forme, la couleur différait également. Le gor forestier arborait des teintes verdâtres, là où son cousin désertique se fondait dans le sable par sa blancheur. Enfin, lorsqu'il releva la tête et qu'il me montra ses crocs, je conclus qu'ils avaient des habitudes de chasse similaires : l'empoisonnement.
J'ai donc fait un pas en arrière et saisi ma hache, avant de lui faucher la tête d'un coup sec, ne lui laissant pas le temps de tenter une morsure. Je l'ai finalement ramassé et emporté pour le manger plus tard. Au bout de tant de jours, un repas de viande fraîche me tentait bien plus qu'une ration sèche.
A mesure que mes pas me portaient, le soleil déclinait. Avec lui, le silence cuisant du désert et de ses chaleurs laissait doucement place à la vie crépusculaire et nocturne. Voyant le jour commencer à descendre, j'établis qu'il fallait monter le camp sans trop tarder. Malgré tout, quelque chose me perturbait. Des sons, que j'avais attribués à la vie du désert, devenaient de plus en plus insistants et curieux à mesure que j'approchais de l'entre-dune où je voulais monter mon camp, puisque cela m'avait réussi la nuit dernière.
Bien plus tard, je me laissa intriguer par la rythmique entrainante qui résonnait parmi les grouillements du désert. alors que je m'approchais, par méfiance, je m'étais baissé à ras du sol. J'observais l'horizon d'un œil vif. S'il s'agissait de troupes shamiriennes, je devais me faire le plus discret, auquel cas j'aurais été bien désavantagé. J'avais toutefois contourné les dunes qui me servaient de mur protecteur afin de me faire une idée plus claire de ce qui s'était installé non loin de moi. Alors, tendant l'oreille, j'entendis finalement d'autres sons s'y mêler, composant une douce et entraînante mélodie qui n'avait rien à voir avec les percussions belliqueuses que nous avions connues.
Il s'agissait là de chants traditionnels et de musique pour accompagner les conteurs. Une chose était sûre, l'accent shamirien avait cet aspect que seul le désert pouvait offrir. Râpeux et sifflant, mais avec le voile du mystère de l'inconnu. Cette épaisse profondeur insondable qui recèle trésors et malédictions. Chance et malheur. Rêve et fable.
Un instrument à vent résonna, prenant la place des voix, et interrompit mes pensées. Il était fait de plusieurs morceaux de bois creux percés, insérés dans une panse d'animal. Son son était autant affreux que merveilleux. Mon oreille mit un certain temps à s'habituer. Les mélodies étaient habillées par bien sûr des tambours shamiriens, faits de peaux tendues et de troncs creusés d'arbres des oasis. Il en existe différentes tailles pour différents tons. Ils avaient aussi un instrument avec des cordes tendues, qu'ils jouaient tantôt aux doigts, ou parfois avec une espèce demi-cercle de bois recouvert de poils très resserrés. En discutant plus profondément, j'ai appris qu'il s'agissait d'un rond de bois, souvent issu d'une branche, coupée en deux et recouverte de poils de makkors. Et enfin, nous avions les voix. Fluctuantes, changeantes, chaudes comme le désert, impétueuses comme des tempêtes de sable, évoluant d'une seconde à l'autre de manière imprévisible, ou encore d'un calme à l'épreuve du temps qui passe.J'ai été plutôt surpris du bon accueil de ces terpanun, bien qu'un brusque arrêt et un silence s'étaient installés lorsque je sortis des ombres nocturnes. Il fut vite oublié, après que le doyen du groupe m'ait invité à les rejoindre auprès du feu.
J'ignorais totalement que les Shamiriens pouvaient êtres aussi attachants. Et pourtant, j'en appris plus en une soirée auprès d'un vieillard que dans toutes mes lectures. Il m'apprit que son peuple était guidé par un idéal de paix et de liberté, il y a longtemps, mais que cet idéal s'est perdu il y a un siècle, lorsque leur chef fut tué et par l'ancêtre de leur chef actuel, qu'ils appellent Dalil. Ce serait ce même ancêtre qui aurait déclenché la guerre contre mon peuple, pour des raisons religieuses, paraît-il. Je trouve cela pathétique. Au moins, nous, orcs, assumons notre nature combative plutôt que de prêter nos agissements personnels à Meltenur. Et le doyen semblait me rejoindre, en partie, sur ce point. Cette divergence de philosophie avait amené leur peuple à se diviser, certains préférant errer dans le désert et rester loin de cette dictature dogmatique. C'est une discussion que nous avons étendue jusqu'au milieu de la nuit, débattant et abreuvant nos curiosités mutuelles.
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Les journaux de Meyster
FantasyMeyster, conteur de la nouvelle ère kentorienne, explore différents journaux d'aventuriers du passé, afin de nourrir son inspiration pour les contes qu'il écrit. A travers les récits de ces personnages, il apprendra bien des choses sur la faune et l...