Une histoire en Faerün.

Chp7 - Le parfum d'une cascade et l'odeur de la neige.

— Marchons.

Et tu m'entraînes à ton côté dans le mouvement de la citée.

Je serre ma flûte entre mes doigts anesthésiés. J'aurai donc eu un chez moi? Oui. Oui, pourquoi pas, j'ai bien dû avoir une vie avant que feu ma sœur de damnation ne me poignarde dans le dos, avant qu'une folle ne s'amuse avec son scalpel sur ma dépouille, avant...

Ainsi j'aurai eu une vie avant Bhaal? Oui. Pourquoi pas.

Tu as laissé ta main dans mon dos et j'ai l'impression que si tu devais l'enlever je faillirai. Tu me retiens et m'enveloppe. Les gens tout autour vaquent à leurs dernières occupations de la journée. Encore une belle soirée d'automne. Ici deux enfants qui rient; là une femme fait décrire de réguliers mouvements à une louche dans un chaudron empli de vin épicé. Je réalise soudain que tu me fixes. Tes épais sourcils gris sont légèrement inclinés. Tes pupilles tranchent à peine dans le rouge sombre de tes iris. Une discrète ride marque le coin de ta bouche, tu te racles légèrement la gorge et semble trouver une réponse à une question que personne n'a posée. En un battement de cils ton expression change. Tu te tournes vers la foule « Aurais-tu vu une boutique de parfumeur? »

Il me faut un instant pour faire un premier pas hors de ma torpeur.

— Quoi?

— Et bien il ne me semble pas en avoir vu hier, quand nous sommes arrivés, et j'aime à croire que tu n'as pas passé tous tes derniers instants de soleil en compagnie de ce voleur et de ces deux compagnons.

— Je.... Non, non en effet. Figures-toi que j'ai passé l'essentiel de mon temps dans un superbe magasin de tailleur, entre fourrures et cuirs tous plus sublimes les uns que les autres!

Ah, évidemment, voyez le coquet qu'il est et qui ne peut cacher son intérêt pour les belles étoffes.

— D'ailleurs j'ai fait mettre des pièces de côtés, repris-je. Mais il est déjà peut-être trop tard pour y retourner.

Regardant une nouvelle fois autour de moi, je me rends compte que je ne me repère pas. J'ai avancé sans être là.

— Hum... Ça ne me dit pas si il y a un parfumeur ici, regrettes-tu.

De nouveau cette petite fossette au coin de tes lèvres. Je comprends bien que tu t'emploies à distraire mon esprit, mais, à cet instant, je reste perdue.

— Je suppose qu'il ne me reste qu'à demander à quelqu'un, soupires-tu.

— C'est à dire que... Je croyais que tu avais toujours un flacon d'avance?

Car oui, cet elfe est très attaché à ses parfums, à son parfum. Alors que nous campions dans des ruines à la belle étoile, il n'y en a eu qu'un pour se féliciter d'avoir trouvé une huile parfumée chez le premier vendeur que nous avions croisé.

— C'est bien le problème, je ne l'ai pas retrouvé ma douce.

Nous avions fini de traverser la grande place centrale, devant nous se tenaient toutes les échoppes disposées de ce coté ci du marché. Sous les lumières des lampions je devine l'enseigne en fer d'un marchand de laine, d'un boulanger et d'une auberge, la silhouette d'une chandelle au dessus d'une porte encore ouverte, les devantures d'un vendeur de fruits secs et celle d'un marchands de salaisons. Dans une rue en contrebas, on entrevoit l'agitation d'une auberge.

Je me retourne et te trouve visiblement contrarié.

— Il doit bien y avoir un herboriste qui vend un peu de myrrhe, souffles-tu.

— Demande aux passants. Mais si Triel est trop modeste pour les parfumeurs, nous en trouverons dans une citée plus grande. Ce n'est pas ...

Tu déranges tes boucles argentées d'un geste tendu. Je dois enfin être revenue complètement à moi même car je me rappelle alors cet échange entre toi et Ombrecoeur. Nous étions devant le repère d'un seigneur momie quand elle s'était plainte de l'odeur de cadavre qui flottait tout autour de nous, s'étonnant de n'avoir jamais rien perçu de tel à ton contact. « Evidemment non, rien qu'un mélange de romain, de bergamote et une touche de vieux brandy ne puisse couvrir » lui avais-tu répondu. Nous en avions souri; la parfaite réponse d'un parfait dandy.