L'aube ne devrait pas tarder. Je commence à fatiguer.
J'ai fini de noircir mes pages pour aujourd'hui. La chambre est agréable. Les volets sont épais, en bon état. De lourds rideaux bleus habillent les deux fenêtres. Le lit de plumes est bien placé. Si un rayon de soleil parvient à percer, il ne devrait pas te gêner. Je range mon carnet et ma plume dans le coffret, caresse le bois foncé. Malgré mon désir, je ne pense pas que j'aurai la rigueur nécessaire pour réaliser mon ambition. Tenir un journal? Écrire?
Je souris et lève mon regard.
Tu n'es pas ressorti pour chasser après que nous soyons revenus de la taverne. La soif doit commencer à se faire sentir. Je me lève et te rejoins. Tu es allongé sur le ventre, les yeux fermés mais je sais que tu es éveillé. D'une main je parcours ton dos. Tes cicatrices ne sont pas douloureuses; j'espère que tu ne me mens pas à ce sujet. Ces scarifications, magiques, car comment auraient-elles pu marquer ainsi la peau d'un être prisonnier de son apparence éternelle si elles n'avaient pas été faites par magie, ces scarifications ne semblent pas te faire souffrir.
Je fais doucement rouler ta peau sur tes muscles marqués.
— Tu peux boire mon sang si tu veux.
Combien de fois ai-je déjà prononcé ces mots?
Je crois que la première fois ce fut dès le lendemain de cette nuit, cette nuit qui fut bien plus décisive qu'il n'y paraissait, cette nuit où j'ouvrais les yeux sur un vampire sur le point de boire à ma nuque.
Je ne me souviens pas exactement à quel moment c'est devenu un rituel. Quand ai-je cessé de te le dire? Quand as-tu cessé de feindre d'être surpris de ma permission «Tu peux boire mon sang si tu le souhaites ce soir» ?
La première fois tu t'étais accroupi silencieusement alors que je me reposais sur ma paillasse, dehors. Les soirées étaient douces. Tous dormaient, sauf moi évidemment. La transe des Elfes n'est pas le sommeil. Tu le sais. Jamais complètement assoupie, je ne pouvais pas ignorer ta présence. Ton genou qui frôlait mon épaule. La légère ondulation de l'air quand tu passais ton bras au-dessus de moi. Le parfum de tes boucles contre ma joue. La douleur de la morsure. La douceur du baiser. Le battement de ces longues minutes floues où le sang manque. Le premier soir je te laissais repartir comme si réellement je n'avais eu conscience de rien.
Un autre jour je te redonnais ma permission et ce second rendez-vous se serait conclu pareillement si je n'avais pas ouvert les yeux tandis que tu te redressais. J'avais été étonnée, je ne m'attendais pas à ce que tu sois surpris comme un enfant coupable pris sur le fait, mal à l'aise et gêné. Tu avais balbutié quelques mots.
— Je... Je ne ...
Tes lèvres étaient rouges et tes pupilles dilatées. Tu avais fait un pas en arrière et jetté un regard inquiet aux silhouettes assoupies autour du feu de camp. Tous dormaient.
— Tu ne veux pas qu'ils te voient, avais-je compris alors. Tu ne veux pas être vu?
J'ai su que j'avais deviné l'origine de ton trouble. Voler son dernier souffle à un adversaire dans la danse d'une bataille, cela n'importait pas, mais là, ici, entre nous, tu ne voulais pas que l'on te regarde.
Si dangereux. Si tranchant. Si brisé.
— Nous ferons autrement à l'avenir, avais-je décidé alors. À demain Astarion.
À compter du jour suivant, tandis que nos compagnons échangeaient quelques derniers mots avant de trouver le sommeil, je me contentais de frôler ton épaule ou d'hocher la tête en croisant ton regard, puis je m'éloignais dans les environs. Nous ne parlions pas. Tu t'agenouillais à mon côté et prenais juste trois ou quatre gorgées. Je fermais les yeux.
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Une histoire en Faerün.
FanficFanFiction se déroulant dans l'univers du jeu Baldur's Gate 3, prenant pour principaux personnages l'elfe Astarion ainsi que l'une des enfants perdues par Bhaal, Riss. Deux siècles d'esclavage et de violence pour lui. Un destin de sang et de meurtre...