Chp6 - Rikal Kenraé, fils de Nistree Kenraé, deuxième fille de la maison Kenraé.

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Le jour se devine et éclaire faiblement la pièce en s'insinuant par les imperfections du volet. Je te sens bouger. Tu passes un bras autour de moi. Je saisis ta main.

— Cet elfe à la taverne, il était là pour les attaques sur la route de Hardbuckler lui aussi.

Je me retourne sous les draps. « Tu parles de ton charmant compagnon de hier? » Comme si je n'avais pas parfaitement compris de qui il était question. « Le demi-Drow? »

— Celui-là même, confirmes-tu en glissant ton autre bras autour de moi. Lui et ses compagnons en viennent. C'est l'affiche que tu as laissé au comptoir qui a attiré son attention.

— Ben voyons. C'est une petite feuille qui l'a attiré et pas du tout l'elfe sublime accoudé au comptoir...

Tu souris. Ta peau est aussi douce que la soie, chaude, réchauffée par mon propre corps et les quelques gorgées de sang bues la veille.

— Ils sont trois, poursuis-tu, lui-même, un énorme guerrier Drow et un jeune Tiefling.

Je parviens à défaire mon attention du grain de beauté au-dessus de ta clavicule.

— Il est possible que je sois uniquement restée concentrée sur mon envie de l'égorger. Je n'ai pas fait attention.

— C'est un voleur.

— Et bien, il t'en a dit des choses entre deux roucoulements...

— Ça je l'ai deviné ma chère.

Je soupire et enfouis mon visage dans le creux de ton épaule, dans tes boucles claires.

— Quel est le plan alors? demandes-tu moqueur.

Je proteste par quelques grognements mesurés.

— On ne peut décidément plus profiter d'un réveil tranquille par les temps qui courent, dis-je en me redressant sur un coude. Et bien déjà je vais voir où en est le soleil dans sa journée. J'irai probablement chercher de quoi me restaurer. Si ton soupirant et ses compagnons n'ont pas réglé le problème des marchands dans la journée, nous irons voir si on peut trouver quelques brigands à te mettre sous la dent sur la route de Hardbuckler. Est-ce que cela vous convient mon seigneur?

— Parfait, te réjouis-tu tous crocs apparents.

Je franchis le seuil de l'auberge. Le clocher de la citée débute sa ritournelle, me confirmant mon impression. Le soleil est faiblard. Le crépuscule ne tardera pas. Je m'offre une galette de viande à la cahute d'un marchand ambulant et flâne sans but en appréciant l'agitation de Triel. Je repense à hier. Je repense à la boutique du tailleur juste avant la taverne. Même si nous voyageons vers le sud, il nous faudra vite des habits plus chauds, l'hiver venant. Je décide de m'y rendre.

De nombreuses façades portent encore des décorations d'équinoxe, des couronnes de feuilles et de fleurs séchées habillent la majorité des portes. Je passe devant une épicerie qui retient mon attention, à l'intérieur un jeune homme dépose sur le comptoir des guirlandes de viandes séchées. Je m'attarde. Une brise légère apporte l'odeur sucrée d'un potage de courges. Je frissonne. Un couple de femmes sort de la boutique suivante, les bras chargés, fourrures et chaperons. Je profite de leur passage et me glisse à l'intérieur. Un agréable parfum de cuir réchauffe l'air. Capes, gants et bottes hautes, je fais mettre de côté plusieurs pièces. Le soleil aura disparu le temps de rejoindre l'auberge. Je remonte la grand rue sans hâte.

L'esprit absent je ne les aurai probablement pas remarqué si une voix claire ne m'avait pas tirée hors de ma rêverie

— Le bonsoir gente dame!

Me voilà revenue à hauteur du marchand de galettes. C'est lui, l'elfe de hier, qui patiente avec ses comparses et qui vient de me héler. Il s'incline avec emphase en retirant un couvre-chef imaginaire.

— Nous nous sommes croisés hier, au ...

Le saluant d'un léger hochement de tête, je m'apprêtais à poursuivre mon chemin en ignorant son élan de discussion, quand, le regard brouillé, le grand Drow dans son dos fit un pas vers moi.

— Je vous reconnais, vous êtes la fille de Calnel? Riss? Réïss?

— Je...

Que dit-il? Comment connait-il mon nom? Son compère, le dénommé Stefaene, lève un sourcil curieux.

— Tu sais, à la passe de PuitBleu, grogne le grand Drow en secouant l'épaule de son comparse.

— Je suis désolée je.... Ce nom ne me dit rien.

— Si. Si c'est vous. Je n'ai pas croisé beaucoup de nos semblables marqués par le lignage des dragons, et vous avez sa flûte! ajoute-t-il en désignant l'instrument qui dépasse de son étui à ma taille.

Cette flûte je l'ai, depuis toujours? En tout cas je me suis éveillée avec en ouvrant les yeux dans le vaisseau où a débuté ma nouvelle vie.

— J'avais six, sept ans, quand avec mon frère nous avons fui l'Outreterre. Votre père nous a guidé, comme tant d'autres avant nous et, sûrement beaucoup après... Vous deviez avoir mon âge. Nous avons même passé une nuit chez vous, avant de monter...

Rien. Rien de ce qu'il me dit ne m'évoque quoi que ce soit. Face à mon incompréhension, il semble peiné.

— Vous... Vous ne vous souvenez pas? Il pose une main sur l'épaule de Stefaene qui était demeuré silencieux. « Donne moi la carte ».

Tandis que le demi-Drow s'exécute, dénouant les sangles de sa besace, le grand gaillard tend vers moi une main ébène.

— Je me nomme Rikal Kenraé, fils de Nistree Kenraé, deuxième fille de la maison Kenraé.

Compte tenu de sa carrure, inhabituelle pour un mâle drow, sa poigne est étonnamment délicate.

— Tiens, lui souffle Stefaene en lui tendant un parchemin.

Rikal prit un instant pour se repérer sur la carte.

— Là, dit-il en tournant le plan vers moi, au nord de Champdor, avant l'Auberge de la Barge.

Il saisit une de mes mains et y glisse le parchemin. Un cercle à l'encre avait été tracé à l'emplacement qu'il venait de me désigner.

— Gardez la carte.

Trop d'informations d'un coup. Un père? Un foyer?

— Pardon, mais vous devez vous tromper, vous dites être allé chez moi? Chez...

Une main délicate glisse dans mon dos. Aux côtés de Rikal, Stefaene s'illumine soudain.

— Ma douce, souffle Astarion en déposant un baiser sur ma joue.

La nuit est tombée sans que je ne m'en rende compte. Tu te places contre moi, gardant un bras autour de ma taille.

— Tout va bien? souffles-tu à mon oreille.

Rikal, qui tenait toujours ma main, replia mes doigts sur le parchemin avant de reculer. Silencieux depuis le début, le jeune Tiefling fit disparaître une galette d'une bouchée vive et enroula un bras autour de celui de Stefaene.

— C'est lui? demande-t-il au demi-drow en désignant d'un mouvement de menton Astarion.

— C'est moi, très certainement, mais je vais devoir écourter votre échange j'en ai bien peur. Je me permet de vous reprendre mon aimée. Je vous souhaite une belle soirée.

Stefaene sembla sur le point de répondre quelque chose mais en est empêché par le grand Drow.

— Bonne soirée à vous aussi, nous souhaite Rikal en emportant d'une poigne ferme ses deux comparses.

Ils s'éloignent, se fondant rapidement dans la foule du marché de nuit. Tu entrelaces tes fins doigts dans ceux de ma main libre. Se faisant je réalise qu'un léger tremblement secoue tout mon corps. Tu me tires vers toi et enroules un bras autour de mes épaules.

Je sens des larmes venir à mes yeux. Pourquoi?

Une histoire en Faerün.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant