CONSULTATION N°3

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« Je vous ai écouté. Je me suis confié à Gabriel. » Dit le jeune politicien, à la femme assise en face de lui. « Alors ? » Demande-t-elle, avec un léger sourire. « Ça m'a fait un bien fou. On n'a pas vraiment discuté, je n'avais pas spécialement envie qu'il dise quoi que ce soit. J'avais juste besoin de réconfort, je crois. » Admet Jordan. « C'est un excellent début. » Commente madame Boucher. Bardella hoche la tête doucement, capitulant.

Tous deux ne disent plus rien, la psychologue prenait note. Pendant ce temps-là, le jeune homme jouait avec ses doigts, cherchant un moyen d'introduire son rapprochement avec Gabriel. Il avait besoin d'en parler, et que quelqu'un sache qu'il n'est pas la mauvaise personne que Gabriel pense -sûrement- qu'il est.

Il n'a pas eu le choix de fuir.

« Vous aviez raison, l'autre jour. » Lance-t-il, rompant le silence. « À quel sujet ? » La psychologue n'était pas sûre de savoir de quoi Jordan voulait parler. « Vous aviez raison quand vous avez suggéré que j'avais des sentiments pour lui. » Il avoue, un léger sourire aux lèvres.

« Oh ! C'est une bonne chose ou pas ? » L'interroge-t-elle. « Je ne sais pas. » Il souffle, perdant son sourire. « Vous le lui avez dit ? » S'empresse-t-elle de demander. « Non, mais je lui ai fait comprendre. »

Jordan n'osait pas avouer, à voix haute, qu'il avait embrassé Gabriel. Il voulait garder ça pour lui.

« Et comment a-t-il réagi ? » La professionnelle se contente de cette réponse, et continue de poser ses questions. « Bien, je crois. J'ai l'impression que c'est réciproque. » Après quelques secondes, il ajoute. « Mais peu importe, il ne risque pas me reparler de si tôt. » Avoue Bardella, le regard triste. « Pourquoi dites-vous ça ? » Madame Boucher hausse un sourcil, ne comprenant pas.

« Parce que je suis parti précipitamment lorsque nous étions ensemble, et que depuis je ne l'ai plus recontacté. Il doit penser que je suis un vrai connard. » Il fait une pause, ne s'excusant pas pour son langage, puis reprend. « Je ne voulais pas partir, mais j'ai reçu un message de Marine. Elle me disait qu'elle avait reçu une vidéo d'un des membres du RN. Il nous a surpris, Gabriel et moi, dans un moment où nous sommes proches. On ne fait rien de compromettant, dans cette vidéo, mais nous sommes vraiment... complices. Déjà que les édits avaient donnés quelques soupçons à Marine, maintenant elle a de sérieux doutes concernant la nature de notre relation. » Se confie-t-il, le coeur lourd de tristesse.

« Que disait-elle dans ce message ? »

« Elle m'a demandé de la rejoindre de toute urgence, avec en pièce jointe, la dite vidéo. J'ai pris peur, je l'ai donc écoutée. »

« Et comment ça s'est passé ? »

« Pour moi, mal. Pour elle, bien. Elle a obtenu ce qu'elle voulait. » Dit-il d'un air abattu. « Pouvez-vous m'en dire plus ? » Tente-t-elle, ayant peur que le jeune homme se referme soudainement. À son grand étonnement, il continue.

« Elle m'a d'abord fait un discours sur l'homosexualité, m'expliquant à quel point c'était contre nature, que c'est une honte, et qu'il fallait que je me fasse soigner de toute urgence. Elle m'a dit que j'étais vraiment bête de m'être fait prendre à mon propre jeu, avec les édits. Qu'elle m'avait demandé d'en jouer pour nous faire de la pub, pas de me transformer en tafiolle et d'y croire réellement. Elle m'a aussi dit que, en tant que président du RN, je n'avais pas à détourner mon esprit de la campagne, que ce n'était vraiment pas le moment de donner de l'énergie à une petite amourette, qu'aucune distraction n'était permise. Elle refuse aussi complètement que 'quelqu'un dans mon genre', ou pas d'ailleurs, trahisse le parti en allant fricoter avec la concurrence. Et encore moins si c'est avec Gabriel Attal, notre ennemi numéro deux, comme elle aime l'appeler. »

Voyant l'air interrogateur de la jeune femme assise en face de lui, Jordan s'explique un peu plus. « Le numéro un, c'est Macron, et le trois Mélenchon. » Elle le remercie du regard, ne voulant pas couper la parole à son patient.

« Elle m'a interdit de le revoir et de lui parler en dehors d'un cadre purement professionnel. Que si je n'arrêtais pas, elle divulguerait cette vidéo au grand jour. Elle m'a dit que les Français me détesteraient, que je détruirais l'image du RN avec mes conneries, que j'allais tous nous faire couler. Elle a aussi dit qu'elle s'en prendrait à lui. » Il marque une pause. « Elle ne m'a pas dit comment, mais je l'ai cru. Je sais de quoi elle est capable. » Termine-t-il, la voix tremblante.

« Elle vous rapproche d'aimer, et vous remet toutes les responsabilités sur le dos ? » Demande-t-elle, voulant être sûre d'avoir bien saisi. Il acquiesce, tête baissée. « Vous la croyez ? » L'interroge-t-elle. « Sur certains points, oui. Mais pas sur tout. »

La psychologue fut agréablement surprise par cette réponse. Le Jordan de la première séance n'aurait pas tenu un tel discours. Elle jugea qu'il était prêt à entendre certaines vérités.

« J'espère que vous savez qu'elle vous manipule, qu'elle vous retourne le cerveau afin d'arriver à ses fins. » Il ne dit rien. « Vous ne devez pas la croire. » Elle vit alors, dans le regard du jeune homme, une lueur d'espoir.

« Et vous en pensez quoi, de tout ça ? »

« Je suis épuisé mentalement. J'avais enfin retrouvé un peu de lumière dans ce long tunnel sombre qu'est la politique de l'extrême droite, grâce à lui. Mais là, dans de telles conditions, je ne pourrai pas encore tenir très longtemps. » La professionnelle ne dit rien, comprenant que Jordan n'avait pas fini de s'exprimer. « Hier, j'ai craqué. J'ai dit à Gabriel qu'on avait été vu. J'ai regretté instantanément de lui avoir dit, ayant peur des répercussions, mais c'était trop tard. » Avoue-t-il, avant de continuer. « Mais maintenant, je n'ai plus envie d'avoir peur. Je veux lui dire la vérité. » Dit-il d'un air déterminé.

« Pourquoi vouloir lui dire maintenant ? Pourquoi avoir changé d'avis ? »

« Parce que je commence enfin à ouvrir les yeux. » 

LA FACE CACHÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant