CHAPITRE 34

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Jeudi 22 octobre 2020, 5 h 25

La nuit avait été courte. Miranda se redressa difficilement, courbaturée. Faute de mieux, elle s'était assoupie sur un vieux bureau, Macron confortablement enroulé contre son ventre. Le chat s'étira paresseusement lorsqu'elle bougea. Ses griffes grattèrent le bois dans un grincement qui fit frissonner la jeune femme. Elle lui intima le silence d'une caresse sur son dos, qui s'arqua pour coller aux mouvements de sa main.

À quelques pas d'elle, Frédéric dormait étalé sur deux chaises. Ses fesses avaient dû les écarter pendant la nuit puisqu'il se trouvait à présent en équilibre fragile, courbé en deux par le milieu de son corps qui pendait dans le vide. Il finit d'ailleurs par atterrir sur le sol à peine trois secondes plus tard. Le jeune homme sursauta violemment, et se claqua l'arrière de la tête contre la chaise en essayant de se redresser. Miranda siffla de compassion entre ses dents.

Alors que le jeune homme se remettait de ses émotions, elle se leva. Elle écarta les bras et fit de grands mouvements pour s'étirer, avant de passer aux cuisses et aux genoux. Ces derniers émirent un grincement plaintif qui lui arracha une grimace. À cause de la malnutrition et du manque de sommeil, les articulations s'usaient plus vite que la moyenne. Elle enviait presque la prothèse de hanche de Louise qui, bien que handicapante, permettait mieux de supporter ces désagréments.

Elle sortit de la pièce pour laisser un peu d'intimité à son colocataire, qui lui fit comprendre d'un long regard anxieux qu'il souhaitait se changer sans elle dans la pièce pour le regarder. De toute évidence, Lucrèce, qui dormait dans la pièce d'en face avec Connor, semblait avoir vécu la même chose. Les hommes, ces petites choses fragiles.

— On n'a pas eu beaucoup le temps de discuter toutes les deux, tu veux faire un tour ? proposa la nouvelle venue. J'ai vu un immeuble juste derrière la banque, on pourrait aller le fouiller.

Miranda hésita, mais un regard dans la pièce adjacente lui apprit que Blanche dormait encore. Après les événements de la veille et la perte de sa jumelle, elle pouvait bien se reposer un peu plus longtemps. Elle hocha la tête et suivit la jeune femme à l'extérieur.

L'aube se levait à peine à l'extérieur. Miranda pensait avoir dormi plus longtemps. Lucrèce réunit ses cheveux et les camoufla sous la capuche de son hoodie. Il pleuvait à flot. Miranda souffla pour tester la température de l'air. La buée qui s'échappa de sa bouche lui apprit que l'extérieur continuait de se rafraîchir. L'hiver serait bientôt là. D'après ses calculs, ils devaient se trouver à la fin du mois d'octobre, à quelques jours près. Il y avait deux ans, elle se serait enthousiasmée de l'arrivée d'Halloween et serait allée acheter une grosse citrouille avec Louise. Cette coutume lui paraissait à présent de très mauvais goût.

Lucrèce prit la route qui menait vers l'ouest, Miranda sur les talons. Une main sur le couteau à sa ceinture, elle se concentra sur les environs. Avec le brouillard qui recouvrait la ville, difficile de distinguer ce qui se trouvait dans la distance. Elle n'aimait pas ça.

— Alors, qu'est-ce que tu faisais avant tout ça ? demanda Lucrèce. Tu as l'air assez jeune, t'étais étudiante ?

— Pas exactement. Je n'ai jamais réussi à m'intégrer à l'université. J'étais... indépendante, on va dire.

Même si le passé ne pouvait plus lui faire mal à présent, Miranda éprouvait toujours du mal à se confier sur son quotidien avant l'apocalypse. Elle avait fini par avouer à Louise que les courses qu'elle faisait pour sa boutique étaient en fait de petits larcins qu'elle dégotait auprès des gangs du quartier dans l'espoir de gagner assez d'argent pour survivre une autre semaine. Finalement, son quotidien n'était pas si différent de maintenant : rester hors de danger, passer son temps à déménager, ne faire confiance à personne et tenter de vivre correctement. Elle n'avait jamais vraiment eu de chez elle. La boutique de Louise n'avait toujours été qu'une solution provisoire. Encore quelques mois et elle aurait sans doute eu de quoi louer un petit appartement dans la campagne. Malheureusement, cette tomate gigantesque avait mis fin à tous ses espoirs en quelques minutes.

Macédoine | Roman post-apo avec des légumes géantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant