CHAPITRE 17

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Jeudi 14 octobre 2020, 15 h 57

Les racines tâtonnaient le sol tout autour d'elle, à la recherche d'une nouvelle proie. Bien que la pensée était horrible, Miranda espéra que l'enlèvement de Bernard suffirait à les calmer. Parfaitement immobile, les deux mains sur la bouche pour masquer sa respiration, la jeune femme n'osait plus esquisser le moindre geste. Malgré cette protection, elle avait l'impression qu'elle allait craquer, alors qu'elle retenait les larmes, suite au choc. 

Bernard hurlait, plus loin dans les buissons. Elle ne pouvait rien pour lui. Elle entendait les os craquer et le déglutissement écœurant du cerfeuil qui dévorait sa prise. Il s'apprêtait à le digérer lentement et douloureusement.

Ça finissait toujours comme ça. Miranda s'attachait, les gens disparaissaient ou se faisaient tuer, et elle devait avancer et faire avec. Le nouveau monde dans lequel elle vivait était impitoyable. Il refusait tout droit à l'erreur. Si l'on ne s'y adaptait pas, on mourrait, le plus souvent dans d'atroces souffrances. 

Elle fit le vide dans sa tête, pour essayer de se calmer. Elle ne pouvait pas pleurer l'homme qui l'avait sauvé alors qu'elle risquait elle-même de ne jamais revoir Louise. 

Alors que les cris de son compagnon de mésaventure s'estompaient, les racines se calmèrent progressivement et reprirent leur position initiale. Miranda patienta encore quelques secondes, avant de traverser le zone aussi vite qu'elle le pût. Elle évita les divers obstacles sur le chemin et, une fois hors de danger, se mit à courir, droit devant elle, pour s'éloigner au plus vite de ce cauchemar. Elle tomba sur les genoux, essoufflée, et laissa enfin l'émotion la submerger. 

Ce n'était pas la première fois qu'elle perdait quelqu'un. Mais ça ne rendait pas la chose moins douloureuse pour autant. Elle ne pourrait même pas l'enterrer. L'homme était condamné à sûrement devenir un végétal, comme celui en pleine transformation qu'ils avaient aperçu plus tôt à l'entrée. Un sort pire que la mort. Elle se demandait parfois si les légumes savaient ce qu'ils étaient avant, ou s'ils avaient perdu toute conscience. C'était débile. S'ils avaient encore une once de conscience, ils s'auto-détruiraient, incapables de supporter ce qu'ils étaient devenus. Elle espéra que les souffrances de Bernard soient terminées pour de bon. C'était un homme bien. Il ne méritait pas une existence de tourments après tout ce qu'il avait fait pour elle. 

Miranda ignorait ce qu'elle dirait aux jumelles. Devrait-elle en assumer la responsabilité à son tour ? Peut-être. Elle lui devait bien ça. La jeune femme refoula ces pensées désagréables dans un coin de son esprit. Pas maintenant. Elle avait encore une mission à accomplir. 

Elle prit appui sur son genou et se redressa. 

Avancer. Toujours avancer.

Une carte du parc se tenait à quelques mètres d'elle. Elle se dirigea devant le morceau de bois, et traça du doigt le chemin qu'il lui restait à parcourir. Elle ne se trouvait plus très loin. Deux chemins s'offraient à elle : celui qui menait à une espèce de grand-huit, encerclé par la forêt, et celui qui passait par la zone de Pat le Pirate, entourée d'eau. Elle n'hésita pas longtemps. Le lac lui permettrait sans doute un moment de répit, les légumes étant normalement incapables de nager, et une meilleure visibilité. Moins de mauvaises surprises. Elle agrippa la lanière de son sac-à-dos et s'engagea vers la gauche.

Comme partout ailleurs dans le parc, l'aire de Pat le pirate semblait avoir été traversée par une tornade. Les constructions de cette partie du parc étaient majoritairement constituée de bois. Les rares bâtiments encore debout avaient verdis, mais la plupart n'existaient plus. Le gigantesque bateau pirate volant, attraction phare de la zone, avait coulé dans le lac, renversé sur le côté. Elle n'imagina pas la force qui avait dû être nécessaire pour l'arracher des gigantesques poteaux métalliques qui le maintenaient d'ordinaire quelques mètres au-dessus du vide. Un autre manège, sans doute une roue de petits bateaux volants pour les enfants, avait perdu l'intégralité de ses embarcations. Elle n'en voyait aucune dans les alentours. La tour de bois qui contenait le magasin des pirates était brisée en deux. Si un tas de peluches moisies ne se trouvait pas dans ses ruines, elle n'aurait sans doute même pas deviner qu'il s'agissait d'une boutique. Entre les échardes redoutables, elle réussit à trouver quelques paquets de sucreries périmées et quelques bouteilles d'eau, qu'elle rangea précieusement dans ses affaires. 

Macédoine | Roman post-apo avec des légumes géantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant