Chapitre 8

272 11 1
                                    

Ça y est, le résultat est tombé. Le camp de l'extrême droite a gagné les élections européennes avec plus de 30 % des voix, devançant largement le camp de Gabriel. Il ne s'y attendait pas, ou plutôt, il ne voulait surtout pas y croire. Mais là, il était confronté à la réalité : le RN avait gagné. Le portrait de Jordan Bardella était partout, sur toutes les chaînes, sur tout Internet. Jordan Bardella, encore lui ; en ce moment, tout ramenait à cet homme. Tout le monde en parlait, partout où il allait, il le voyait. Allait-il un jour le laisser tranquille ?

C'est Emmanuel Macron qui le sortit de ses pensées :

« Gabriel ? Gabriel ? Es-tu avec nous ? »

« Oh, oui, pardon monsieur, je vous écoute », répondit le Premier ministre, sortant de ses rêveries.

« Bien, ce qu'il se passe est très grave. La montée de l'extrême droite est une menace pour notre parti, mais aussi pour toute la France. Les Français se sont exprimés, et apparemment, ils souhaitent l'extrême droite au pouvoir. Il va falloir agir pour contrer cette ascension », exprima le président.

Gabriel pensait qu'Emmanuel allait continuer, mais il n'en fit rien. Il devait sûrement avoir une idée derrière la tête, mais ne souhaitait pas l'exprimer pour l'instant. Peu importe, Gabriel était toujours aussi choqué des résultats et avait du mal à réfléchir correctement aux mesures à prendre.

Encore une fois, Emmanuel Macron interpella Gabriel :

« Il faut que tu convoques les ministres pour parler de solutions, notamment de nouveaux moyens de communication, et surtout de l'importance de rester soudés. Ne leur montre pas que tu as perdu espoir, mais qu'au contraire, il faut agir encore plus pour contrer Jordan Bardella. »

Encore lui. Encore ce prénom qui revenait en boucle. Mais cette fois, pas le temps de rêvasser, Gabriel devait se bouger. Il convoqua alors tous les ministres à Matignon pour le lendemain à 10 h.

Gabriel était sur la route pour rentrer chez lui quand il entendit son téléphone vibrer. C'était Brigitte :

« Je sais que c'est compliqué, mais tout va bien se passer. Tu es plus fort que tu ne le penses. Ce n'est qu'une bataille perdue, pas la guerre. Vous avez tout le temps pour vous ressaisir et reprendre de l'avance. Tout ça n'est pas de ta faute surtout, ne l'oublie pas. Repose-toi bien.
Brigitte »

Il sourit en voyant son message, elle était vraiment une deuxième mère pour lui.

Le chauffeur finit par s'arrêter devant l'appartement de Gabriel. Gabriel descendit et tapa le code de l'interphone qui laissa la porte s'entrouvrir. Il mit un temps fou à monter jusqu'à son appartement, toujours perdu dans le flot de pensées qui l'envahissait. Il essayait de suivre les conseils de Brigitte, mais ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir, de penser qu'il n'avait pas été à la hauteur. C'est le cœur lourd, rempli de regrets, qu'il poussa la porte de son appartement. Il ne prit pas la peine de manger ni de se changer et s'affala dans son lit en enlevant ses chaussures à la va-vite. Il s'endormit dès que sa tête toucha l'oreiller, complètement exténué par ces dernières semaines.

En se réveillant, il vit huit heures affichées sur le radio-réveil. Il avait dormi 12 heures, enfin une nuit plus que reposante. Il en avait besoin. Il sauta du lit et partit directement sous la douche. Après avoir enfilé son costume pour la journée, il alla dans la cuisine et avala son petit-déjeuner rapidement. Certes, il n'était pas en retard, mais il souhaitait arriver avant l'heure du rendez-vous pour préparer ce qu'il allait dire aux ministres. Il n'avait aucune idée de ce qu'il pourrait dire ; comment essayer de les motiver si lui-même était au fond du gouffre ? Les seules pensées qui lui venaient étaient : « Tout cet acharnement pour rien. « Qu'allons-nous faire à présent ? ». La seule chose qui le réconfortait était le temps qu'ils avaient pour se retourner, pour repasser en tête.

Sans plus attendre, il monta dans un taxi et fonça vers Matignon. Il écrivit un petit discours dans la voiture, pas très convaincant, mais qui ferait l'affaire. En arrivant sur place, il sentit la tension monter en lui. Il avait peur. Peur de ne pas être à la hauteur, peur de se ridiculiser, il ne savait pas. Mais un très mauvais pressentiment montait en lui, comme monte l'angoisse avant de passer un oral.

Il finit par arriver devant la salle de réunion. Apparemment, tout le monde était déjà là depuis 20 minutes et attendait le Premier ministre. Le regard de celui-ci se posa sur la personne qu'il ne voulait absolument pas voir aujourd'hui, mais il aurait dû s'en douter : c'est lui qui l'avait nommé ministre, et il avait convoqué tous les ministres sans exception. Stéphane Séjourné se leva pour le saluer, mais Gabriel ignora sa poignée de main, se contentant de lui faire un signe de tête, puis alla s'asseoir près de Gérald Darmanin. L'écran s'alluma aussitôt.

« C'est le président, il va faire une annonce », lui expliqua son collègue à sa droite.

Quand 10 h sonna, le visage d'Emmanuel Macron apparut en grand, et il commença à parler, exprimant son désaccord face à la montée de l'extrême droite, mais aussi sa détermination à écouter et à accepter le choix des Français. Puis, une déclaration fracassante tomba. Le président, celui qui avait nommé Gabriel au pouvoir quelques mois plus tôt, venait d'annoncer qu'il allait dissoudre l'Assemblée nationale.

Le Premier ministre vit sa vie entière s'effondrer devant lui. Tout ce qu'il avait construit jusqu'ici s'écroulait en quelques mots. Pourquoi ? Qu'avait-il fait de mal ? Était-il si mauvais que le président veuille le remplacer, quitte à ce que le RN soit au pouvoir ? Il ne pouvait pas y croire. Alors, il se leva, sortit machinalement de la pièce en claquant la porte, monta dans le premier taxi, et rentra chez lui.

Sur le trajet, quelques larmes coulèrent sur la joue du Premier ministre. Il était vraiment triste, pas autant que lorsque Stéphane l'avait quitté, mais la douleur qu'il ressentait près de son cœur était égale, voire plus pesante que jamais. C'était trop pour lui.

Il eut du mal à atteindre son appartement. Son corps tout entier semblait tellement lourd, comme s'il traînait un poids énorme accroché à sa cheville. Après avoir franchi la porte, il se déshabilla presque entièrement pour retirer le plus de charges possibles et, pour apaiser son esprit, se servit un grand verre d'alcool. Il n'en but que quelques gouttes et courut presque sous la douche. C'était la douche la plus longue et la plus froide de toute sa vie, mais aussi la plus agréable. Assis par terre, laissant l'eau couler de ses cheveux à son visage, il laissait se mélanger des larmes salées, mais étrangement libératrices.

Après ce moment de désespoir assez ridicule, selon Gabriel, il se ressaisit. Il avait déjà vécu pire que ça. Ce n'était pas le moment de se laisser abattre. Il décida de faire un post sur Instagram avec un long message expliquant sa tristesse, mais aussi sa détermination à regagner la confiance des Français. Plutôt satisfait, il posa son téléphone sur le canapé et se fit à manger. 13 h 35 s'affichait sur l'horloge, et son ventre criait famine.

Il revint au salon 30 minutes plus tard, suite aux appels qui faisaient trembler de plus en plus le téléphone du Premier ministre. Qui pouvait bien l'appeler autant ? Et pourquoi ? Si c'était le président ou un ministre, il ne répondrait pas, il n'en avait pas envie.

Sa crainte se justifia : c'était le président. Il raccrocha immédiatement, mais vit alors les centaines de notifications sur Instagram. Des messages privés, précisément. Quelque chose n'allait pas...

Il regarda vaguement ses notifications et fut interloqué quand il vit le nom de Jordan Bardella s'afficher sur les trois quarts des messages de ses collègues.

Jordan Bardella avait posté un commentaire sous son post Instagram, un commentaire provocateur, plus précisément.

« Nous nous reverrons à Matignon pour la passation de pouvoir. Cette fois-ci, vous ne pourrez pas refuser ma poignée de main. ;) »

Au-delà des idéologies [Attal x Bardella]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant