Chapitre 9 : Le fou

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L'air était lourd, chargé d'une tension palpable. Shira et Nara marchaient en silence, s'éloignant du village d'Aubegrise. Leurs pas les menèrent jusqu'à une vaste plaine, où le sol, lisse et travaillé, semblait appartenir à un autre monde. Une brume épaisse recouvrait tout, rendant l'atmosphère irréelle, presque onirique. Devant eux se dressait une immense fresque gravée dans la pierre, à peine visible à travers le voile de brume.

Nara s'approcha la première, ses doigts effleurant les gravures anciennes avec une délicatesse empreinte de respect. Shira, attiré par les symboles et les figures énigmatiques, la suivit de près, son regard captivé par les détails de la fresque. Ce qu'il voyait semblait raconter une histoire, un conte cryptique dont la signification lui échappait encore.

Nara prit une profonde inspiration avant de parler, comme si les mots qu'elle s'apprêtait à prononcer portaient un poids particulier. « Il y a fort longtemps, » commença-t-elle d'une voix douce mais assurée, « un être mystérieux, connu simplement sous le nom du Fou, parcourait les mondes. Il était à la fois sage et insensé, un marcheur entre les réalités, guidé par une intuition que même lui ne comprenait pas totalement. »

Shira fixa les gravures représentant une silhouette floue, indistincte, que les lignes entrecroisées semblaient vouloir dissimuler plutôt que révéler. Le Fou était là, perdu dans un paysage irréel, entouré de créatures aux formes incertaines, toutes cherchant quelque chose qu'elles ne pouvaient nommer.

« Le Fou n'avait pas de but précis, » continua Nara, ses yeux se perdant dans les détails de la fresque. « Il errait, voyageant à travers des terres et des dimensions, sans jamais s'attacher à un endroit, sans jamais trouver ce qu'il cherchait. Mais malgré cette errance, il sentait au plus profond de lui qu'il attendait quelque chose... ou quelqu'un. »

Shira écoutait attentivement, essayant de discerner le sens caché derrière les mots de Nara. Les gravures dépeignaient maintenant le Fou en train de construire quelque chose : un village isolé, perdu dans la brume. Aubegrise, se réalisa Shira, était ce village.

« Fatigué de son errance, » poursuivit Nara, « le Fou décida de créer un lieu, un sanctuaire où il pourrait attendre ce qu'il sentait venir. Il bâtit Aubegrise, non pas comme un refuge pour lui-même, mais comme un piège destiné à capter l'attention de celui qui viendrait. Ce village devint un lieu de mystères, un labyrinthe où les âmes perdues pouvaient se retrouver, ou se perdre à jamais. »

Les gravures montraient Aubegrise entouré de brume, une épée plantée au centre du village, en attente. Le Fou était représenté, debout, son regard fixé vers l'horizon, semblant attendre quelque chose ou quelqu'un.

« Mais le Fou, » dit Nara, sa voix se faisant plus douce, presque un murmure, « savait que son rôle ne s'arrêtait pas à la création de ce village. Il savait, au plus profond de lui, qu'il était destiné à plus que simplement attendre. Il devait former celui qui viendrait, l'amener à découvrir la vérité, à comprendre son essence... et, un jour, à l'affronter. »

Shira sentit une étrange sensation le traverser. Les gravures montraient maintenant le Fou non pas comme une figure lointaine, mais comme quelqu'un impliqué dans un processus de formation, guidant, testant celui ou celle qui arriverait. L'épée, plantée dans le sol, symbolisait ce duel inévitable.

Quelque chose en Shira se mit à bouillir. Un instinct profond, presque primal, s'éveilla en lui. La marque sur son bras brûlait, pulsant d'une énergie ancienne. Il se concentra, laissant son essence s'éveiller complètement. Lentement, il tendit sa perception vers Nara, cherchant à comprendre ce qui se cachait derrière son calme apparent. Ce qu'il découvrit le glaça.

L'essence de Nara n'était pas la protection comme elle l'avait prétendu. Non, c'était quelque chose de bien plus dangereux, de bien plus instable : le « Toucher du Fou ». Une force capable de manipuler la réalité elle-même, de transformer tout ce qu'elle touchait. C'était un pouvoir qui résonnait avec une folie aussi ancienne que le monde, une folie qui, Shira le comprenait maintenant, avait façonné Aubegrise.

« Nara... » murmura-t-il, ses yeux fixés sur elle avec une nouvelle compréhension. « Est-ce toi... Le Fou ? »

Nara resta silencieuse un instant, laissant ses mots flotter dans l'air. Puis, lentement, elle se baissa pour ramasser un simple bâton gisant à ses pieds. En un instant, le bâton se métamorphosa sous ses doigts, se changeant en une épée d'un noir abyssal, aussi sombre que la nuit elle-même. L'atmosphère autour d'eux changea brutalement, le ciel s'assombrissant, l'air se chargeant d'une énergie crépitante.

Nara leva lentement les yeux, et dans son regard, Shira vit la confirmation de ce qu'il avait découvert. « Oui, Shira, » dit-elle finalement, sa voix empreinte de tristesse et de détermination. « Je suis le Fou. J'ai attendu si longtemps... pour ce moment. Pour toi. »

Elle leva l'épée vers le ciel, et l'air autour d'elle se mit à vibrer, se tordant sous l'effet d'une force invisible. Des éclairs jaillirent de nulle part, illuminant la scène d'une lumière éthérée, presque divine. Nara, perchée sur un rocher surplombant la plaine, semblait incarner à elle seule la puissance et la folie du Fou, prête pour l'affrontement qu'elle avait attendu depuis si longtemps.

Shira, le souffle court, sentit son essence réagir. En se concentrant, il tenta de copier cette essence qui incarnait la folie créatrice du Fou. Une énergie étrange, fluide et changeante, envahit son être. Il posa sa main sur le sol à ses pieds, et la pierre se transforma, malléable comme de l'argile sous ses doigts, avant de se solidifier à nouveau selon sa volonté. C'était un pouvoir qu'il commençait à peine à comprendre, une ombre de ce que Nara maîtrisait.

« Montre-moi, Shira, » dit-elle, son regard fixé sur lui avec une intensité brûlante, « montre-moi que tu es prêt. »

Le cœur lourd, Shira leva son épée, sentant la puissance de son essence se déchaîner en lui. Ce combat n'était pas seulement un test physique ; c'était l'aboutissement de tout ce que le Fou avait préparé, de tout ce qu'il avait attendu. Et maintenant, le destin de Shira et de Nara se jouait ici, sous ce ciel sombre, alors que les éclairs déchiraient les cieux et que les vérités dissimulées se révélaient enfin


Le Dieu en Deuil - Tome 1 : L'EveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant