Chapitre 7

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Je me laissai guider par le son de la musique, mes pas glissant en harmonie avec le rythme des musiciens de l'orchestre. Nous décrivions des cercles et j'essayai d'entrainer mon cavalier vers le centre où tournoyait ma cible et sa chère compagne. Mon cavalier devant moi arborait un large sourire dévoilant ses dents blanches, je feignai de le lui rendre. Je sentis que nous frôlions d'un peu trop près le couple phare de la soirée. Mon cavalier m'invita implicitement à m'éloigner, essayant de canaliser ma fougue. J'acquiesçai élégamment lorsque je sentis mes pieds se dérober sous moi, ou devrais-je dire que je glissai volontairement sur le sol. J'eus l'impression de voir la scène au ralenti, je me vis glisser des bras de mon cavalier, la tête rejetée vers l'arrière. Ses yeux s'agrandir de stupeur et ses bras cherchèrent désespérément à me retenir. Mais ce furent deux autres bras ferment qui m'empêchèrent de m'étendre de tout mon long sur le sol. Des bras musclés qui me remirent sur mes pieds avec une délicatesse qui me surpris. Je regardai par-dessus mon épaule et mon regard séducteur croisa celui du commandant général de Santa Anna. Mais son regard me troubla tellement que j'eus presque peur de me mettre à trembler. Ses yeux bleus étaient doux et...familiers. Déconcertant. Mon regard descendit sur sa main posée sur ma hanche qu'il n'avait pas encore retirée. Son contact était brulant et ce que je vis me fit écarquiller les yeux de surprise. J'en perdis mon sourire malicieux et le visage de mon sauveur exprima l'étonnement et l'incompréhension. Il portait un anneau en or à son majeur, un lion dressé sur ses pattes arrière y était finement gravé. Une bague que je ne connaissais que trop bien car je la portais sur moi également. Le commandant paru comprendre car son regard allait de moi à ma main finement agrippée à son épaule. Je me dégageai à bout de souffle. Comment était-ce possible ?

- Heureusement, que je vous ai rattrapé, dit-il dans un sourire pour rompre le silence qui s'était emparé de la salle. Puis-je connaître votre nom ?

Mon nom ? Mon cerveau fonctionnait au ralenti. Comment cet homme pouvait posséder une bague appartenant à ma famille ? L'avait-il volé à mes parents après leur mort ? J'étais trop déboussolée pour répondre. J'avançai à reculons puis finit par relever le bas de ma robe pour courir et sortir d'ici à tout prix. Je pris la porte la plus proche de moi, ignorant les gens qui me fixaient avec mépris. L'air frais du soir me fit un bien fou mais je ne m'arrêtai pas de courir pour autant, je ne voulais pas que mon valet cherche à me rattraper. Je ne voulais pas que quiconque vienne me chercher.  Je m'arrêtai haletante devant une étable, remplie de chevaux. J'entrai et me calai au fond de l'établissement contre le mur. Je devais réfléchir. Réfléchir. Je ne devais pas perdre de vue mon objectif, trouver les plans de la mine d'or. Mais cette mission prenait de plus en plus une tournure personnelle. Et je savais, je sentais qu'une partie des réponses se trouvaient dans cette villa. Je me laissai donc guider par mon instinct et me dirigeai vers un escalier qui devait relier l'étable à la villa. Je m'enfonçai dans cette obscurité, espérant trouver la lumière qui révèlerai la vérité sur mon passé.

Je poussai délicatement une porte et pénétrai dans la maison de Santa Anna. Un calme inquiétant y régnait. J'étais prête à menacer Santa Anna de me dire la vérité, je le ferai même s'il devait périr. Une rage sourde avait pris le contrôle de moi. Je n'avais jamais ressenti cette rage avant de poser le pied sur la terre de Californie. L'Espagne avait été un cocon protecteur mais j'en étais désormais sortie. Les souvenirs m'assaillaient depuis le retour sur mon pays natal, comme s'ils avaient réveillé une plaie que j'avais enfouie au plus profond de moi. Cette plaie reflétait la perte de mes parents, une perte brutale et surtout inexpliquée, incomprise, injuste...et le désir, le désir de comprendre ce qui était réellement arrivé à mes parents et punir les responsables. Je voulais savoir. Je voulais comprendre. Je sentais que la vérité était juste devant moi, à portée de main mais je ne faisais que brasser de l'air. Il fallait avancer. C'est comme si je savais où aller et me diriger dans cette maison. Pourtant, je ne pouvais pas y être déjà allée. Je gravis des escaliers encore et encore, attentive au moindre bruit, au moindre signe de vie. Soudain, j'entendis des bribes de voix. Je m'approchai discrètement de l'entrebâillement de la porte qui donnait sur un petit salon dans lequel deux hommes en tenue d'officier conversaient.

- Tu crois vraiment que c'est possible ?

- Santa Anna affirme avoir découvert la planque du chef de cartel d'opium.

- Compte-il lancer une offensive ?

- J'en discute encore avec lui pour le moment, la prise de décision est complexe. 

- Dans tous les cas, cette misère est là depuis trop longtemps, cela doit s'arrêter. Il accumule une fortune illégale depuis bien trop d'années. 

- L'argent sale doit cesser.

Je m'éloignai, pensive. « L'argent sale doit cesser », un propos bien contradictoire avec la philosophie de Santa Anna, pensai-je. Je gravis un nouvel escalier en colimaçon. Un couloir sans fond s'ouvrit à moi. Si Santa Anna avait un bureau cela devait être par ici. J'essayai d'enfoncer les portes mais elles étaient pour la plupart condamnées. Sauf une. Une faible lueur émanait de la pièce. Je sortis un poignard caché dans ma robe et je retins ma respiration lorsque j'ouvris la porte d'un coup brutal. Mais il n'y avait personne dans la pièce, ou plutôt la chambre. Une bougie finissait de se consumer sur ce qui semblait être un bureau. Je m'approchai et fouillai parmi les documents disposés sur le plan de table. C'était principalement de la paperasse, des papiers administratifs, rien qui ne m'intéressait. J'entrepris d'ouvrir tous les tiroirs du bureau et d'en inspecter le contenu. Je failli pousser un cri de frustration. Il n'y avait rien. Je sondai les murs à la recherche d'un quelconque interstice. Mes recherches étaient vaines. Je m'assis sur le lit et pris ma tête entre mes mains mais un froissement de feuilles retint mon attention. Je venais de m'assoir sur des documents, je les pris dans mes mains et ne pus en croire mes yeux. Cela ressemblait très fortement aux plans que Micheltorena m'avait décrit. J'exultai de joie. Mais comment le président du Mexique pouvait-il laisser des documents de si haute importance sur son lit ? Mon regard s'arrêta sur la table de chevet où était disposés un vase avec des fleurs de pavot blanches et un cadre photo. Je croyais qu'elles n'étaient cultivées que dans la résidence de Micheltorena...En m'approchant pour saisir une fleur, mon regard se posa sur la photo qui représentait trois adultes. Le froid de la pièce glaça mes veines. J'étais presque sûre, j'étais sûre que cette femme était ma mère, et l'homme qui la tenait par la taille mon père. La ressemblance entre moi et ma mère me frappa, elle avait les mêmes cheveux bruns indomptables, les mêmes sourcils broussailleux et le même regard espiègle. Les larmes me montèrent aux yeux. Quant à la troisième personne, je semblais la connaître mais les souvenirs étaient flous. Je me concentrai pour faire ressurgir ce souvenir que ma mémoire avait enterrée.

EsperanzaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant