Chapitre 11

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Il fallait absolument que je trouve un moyen de parler seul à seul avec Sergio. Il fallait que je lui parle de Santa Anna et de mes doutes sur Manuel et ses intentions. J'avais pris un bain rapide et revêtit une robe noire en satin, aux manches longues avec des volants et au corsage ajusté qui mettait en valeur ma taille. J'avais choisi une couleur sombre pour sa sobriété. Mes cheveux coiffés en un chignon bas dévoilaient ma nuque ornementée d'un unique et simple collier couleur or. Je rejoignais le cortège au jardin, en pleine contemplation des parcelles de fleurs. Je me plaçai aux côtés de Sergio mais les regards tournés vers moi m'empêchaient de communiquer avec lui. Je fis semblant de m'intéresser aux plantes du jardin. Les pavots blancs avaient disparu à ma grande surprise et il ne restait plus que des capsules de fleurs ovales, fissurées de part et d'autre. Un liquide blanc et pâteux s'écoulait des incisions et séchait sous le soleil ardent dans le ciel. Micheltoerna s'exclama :

- Cette plante est connue sous le nom scientifique de Papaver somniferum, le latex ou opium que vous pouvez observer s'exsuder du fruit contient une grande concentration d'alcaloïdes comme la morphine et la codéine. Cette substance possède des propriétés sédatives et analgésiques, diminuant la douleur. Elle est très prisée des médecins.

Un garde approcha curieusement sa main du fruit et du latex qui s'en écoulait.

- Faites bien attention, susurra le gouverneur à l'égard de l'officier. Ce produit est également hautement psychotrope, il induit une euphorie et un état onirique très recherché.

Le dessin que j'avais trouvé sur l'épouvantail me revint à l'esprit. Santa Anna avait connaissance depuis le début des cultures de pavots blancs du gouverneur. Ma voix vint briser le silence de contemplation de notre groupe :

- Cela m'intéresserait de savoir avec quels collaborateurs commercialisez-vous ces produits psychotropes ?

- Avec à peu près tous les instituts médicaux du pays.

- Les instituts médicaux du pays... le murmure de ma voix se perdit dans la légère brise qui s'était levée.

Je fixai le sourire trompeur du gouverneur. Nous savions l'un comme l'autre qu'il ne disait pas la vérité. Etais-je la seule à ne pas être dupe ou les autres fermaient volontairement les yeux sur ce commerce illégal ? Un autre souvenir frappa mon esprit, celui du vieillard gisant par terre, dévasté par l'opium, pouvant à peine respirer et le regard fou du jeune homme qui nous avait interpellé par la suite. Je voyais maintenant l'indifférence du gouverneur face à cette scène. Je lançai un regard lourd de reproches à Sergio, et pour une fois il n'essaya pas de fuir mon regard. J'y lus de la culpabilité et une résignation à se battre. « C'est comme ça », semblait-il dire. Je savais très bien qu'il pensait que des enjeux plus importants nous préoccupaient et que l'on pouvait fermer les yeux sur certaines choses. Je n'étais pas d'accord et je serrai les poings. Les pièces du puzzle s'assemblaient une à une et j'étais de plus en plus désemparée face à la tournure que prenait les évènements. Que pouvait bien représenter Manuel pour que Sergio le suive les yeux fermés ? Il fallait que je le résonne, il m'écoutera. Je maudis les codes de la société qui m'empêchaient de prendre Sergio à part en présence des invités américains. 

Nous nous dirigions désormais vers la cour de la villa où une réception grandiose était organisée. Un orchestre jouait mélodieusement en l'honneur du pacte qui allait être signé d'un instant à l'autre. Je suivais Sergio et Manuel qui allaient accueillir les grands seigneurs, invités à l'évènement. J'abaissai légèrement la tête par signe de politesse à chaque entrée. C'est alors qu'un homme portant un sombrero, large chapeau noir s'avança. Il portait une chemise blanche avec un col droit, surmontée d'une veste de velours bleu orné de boutons en argent.

- Carlos de Albornoz, fils de Don Antonio de Albornoz.

L'homme s'était légèrement incliné, son chapeau dissimulant son visage. Lorsqu'il leva ses yeux vers moi, je manquai une respiration. Son visage respirait l'assurance, ses sourcils blonds soulignaient ses yeux bleus qui m'avaient tant troublé la première fois que j'avais plongé mon regard dans le sien. Le commandore Alejandro se tenait devant moi, non plus en tenue militaire mais en homme de la haute société. Sergio remarqua mon air ahuri non dissimulé et demanda :

- Vous êtes-vous déjà rencontrés auparavant ?

- Je n'ai pas l'habitude de faire réagir les dames de la sorte, trancha-t-il dans un rire. Mais je me serais souvenue d'une beauté pareille si elle avait croisée mon chemin.

Le commandant attendait ma réaction, une lueur de défi dans le regard. Il me laissait le libre choix de dénoncer sa couverture. J'admirais l'audace de cette entrée.

- C'est sûrement votre prestance qui m'a coupé le souffle, murmurai-je. Je ne vous ai jamais croisé.

Il s'avança alors dans un sourire pour embrasser ma main, sous le regard protecteur et mécontent de Sergio.

- Puis-je savoir votre nom ?

Le parallèle à notre première rencontre illumina les ridules aux coins de mes yeux.

- Esperanza Fernandez, répondit Sergio.

Je me tournai vers Sergio intriguée, Fernandez était son nom de famille, pas le mien. 


EsperanzaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant