Chapitre 10

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Lorsque j'arrivai aux portes de la villa, je remarquai un attelage de cheveux qui n'étaient pas à l'insigne de la Californie mais, à ma grande surprise, à celle des Américains. Etaient-ils déjà de retour ? Lorsque je passai le hall d'entrée, Micheltorena comme s'il attendait mon retour s'approcha de moi, suivi de ses gardes.

- Tu as un jour de retard. Le valet qui devait assurer ta protection nous a rapporté que tu t'étais enfuie du bal.

Son ton agressif me surprit. Ses yeux autoritaires attendaient une réponse. Je réfléchissais à la version des faits que je voulais donner. Je cherchais des yeux Sergio, espérant qu'il me vienne en aide. Comme s'il lisait dans mes pensées, le gouverneur de Californie déclara :

- Sergio n'est pas là pour l'instant, il est en train de négocier avec les Américains.

- Je me suis enfuie du bal pour faire diversion. J'ai réussi à accéder aux appartements privés de Santa Anna.

Tout en prononçant ses mots, je sortis le plan des mines pliées en quatre dans la poche intérieure de ma sacoche. Une lueur avide illumina le regard de Micheltorena.

- Sergio avait donc raison de te faire confiance.

Et il s'empara du plan, l'observant sous tous les angles. Il tendit le papier à l'officier à ses côtés.

- Je veux que vous alliez immédiatement fouiller cette zone avec le reste de votre escouade.

- Pourquoi ne pas donner le plan aux américains comme prévu ? demandai-je sur un ton qui se voulait désinvolte.

Le gouverneur partit dans un rire sonore et guttural qui résonna sur les murs.

- Vous n'avez tout de même pas cru que j'allais offrir des milliers de lingots d'or à ces gens-là.

Devant ma mine déconfite, il se reprit :

- Sergio est en ce moment même en train d'offrir des plans falsifiés de ces mines aux américains.

- Dans quoi l'avez-vous entraîné, murmurai-je entre mes dents.

- Il fait ça en pleine conscience des enjeux ma chère Esperanza.

- Que ferez-vous lorsque les Américains se rendront compte de la supercherie ?

- Oh ils ne s'en rendront compte que bien trop tard, le papier sera signé et il ne pourra plus être réexaminé.

Je restai silencieuse. Je n'avais été qu'un pion permettant au gouverneur de Californie de s'enrichir par escroquerie.

- Peut-être qu'au final, c'est une bonne chose que Santa Anna souhaite vous renverser.

J'examinai le visage du gouverneur se tordre lentement de colère. Je le vis s'approcher de moi et saisir mon visage d'une poigne puissante avant que j'aie le temps de reculer. Il approcha son visage du mien et dévoila ses dents blanches dans un rictus qui me donna la nausée.

- Je ferais attention à mes paroles, à votre place.

Mes yeux ne quittèrent pas les siens, une rage profonde bourdonnait en moi.

- Esperanza, Manuel ? Quelque chose ne va pas ?

Le gouverneur me relâcha et déclara d'un ton désinvolte, les bras levés vers le ciel :

- Tout va pour le mieux. Oh voici, nos chers invités. Venez suivez-moi, j'ai une surprise à vous montrer.

Je scrutai Sergio, accompagnés d'officiers américains que je ne reconnus pas. Pouvait-il lire le désarroi dans mes yeux ?

- Excusez-moi, je n'ai pas fait les présentations. Voici le nouveau commodore de la marine américaine, le commandant Robert Stockton qui vient remplacer notre vieil ami le commodore John Sloat qui est tombé malade et a été contraint de rentrer au pays. Il est ici pour finaliser le pacte entre la Californie et l'Amérique. Tout est exact ?

- Tout à fait, répondit un homme au visage creux et aux arrêtes saillants. Ce visage anguleux était sévère avec des petits yeux rentrés dans leurs orbites. Sa moustache parfaitement coupée lui donnait un air pompeux. Il portait un chapeau avec l'insigne américain et une veste militaire dont les épaulettes argentées ne faisait pas de doute quant à son rang. Sa main gantée caressait nonchalamment le pommeau de l'épée sertie à sa ceinture.

- Et voici, Esperanza, fille par alliance de Sergio. Excusez-là, elle revient d'une mission et n'a pas eu le temps de se changer.

Je détestais le regard que le commandore leva sur moi à ce moment-là et qui s'arrêtèrent un peu trop longtemps sur mes épaules nues balayant ma poitrine au passage. Je n'avais pas changé ma robe rouge depuis le bal masqué et je dois dire qu'elle était déchirée de part et d'autre et maculée de saleté.

- Tu peux aller te changer et nous rejoindre au jardin, déclara Sergio d'une voix douce.

Je n'osai pas émettre d'objection et leur tournai le dos, le menton relevé, non sans lancer un regard d'avertissement à l'américain après qu'il m'eut détaillé de la tête aux pieds.

EsperanzaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant