Chapitre 12

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Nous étions attablés autour d'un buffet, sur une terrasse qui surplombait le bal. J'étais assise à côté de Sergio et en face du commandant américain à mon plus grand désarroi. Je feignai d'observer les couples danser, le regard envieux mais je ne perdais pas une miette de la conversation qui se déroulait à côté de moi. Les Américains firent venir une grosse malle qui devait contenir les 300 millions de dollars pour la Californie. Deux officiers la déposèrent au pied de Micheltorena.

- J'ai rempli ma part du marché. Voici l'argent en liquide et deux cents de mes hommes arriveront par la mer demain pour venir soutenir vos armées face à Santa Anna. Remplissez désormais la vôtre, prononça solennellement le commandant Stockton, le regard grave.

Le gouverneur de Californie se leva de sa chaise, et sortit des documents de sa sacoche, qu'il déposa en face du commandant.

- Voici les plans des mines de Santa Anna, comme convenu, dérobés par la très habile Esperanza.

J'esquissai un sourire que je souhaitai crédible, car un profond dégoût m'habitait en ce moment même. Il s'accentua lorsque le commandant Stockton leva ses yeux malicieux vers moi pour me remercier.

- Ces deux copies sont quant à elle la preuve de notre marché. J'ai déjà apposé ma signature à ces documents et dès que vous signerez, nous trinquerons à l'annexion de la Californie aux Etats-Unis d'Amérique ! s'exclama Manuel. Le commandant Stockton s'empressa de signer et nous levâmes tous nos verres à cet honneur. J'observai avec une pointe d'horreur ce qui se passait sous mes yeux, ne sachant réellement ce que ce pacte allait impliquer pour les californiens. C'est alors que le commandant Stockton se leva et se dirigea vers moi. Il s'agenouilla devant moi et embrassa ma main.

- Me feriez-vous l'honneur de m'accorder cette danse, Esperanza.

C'était bien la pire chose qui pouvait m'arriver mais je n'étais pas en mesure de négocier. Je grimaçai un sourire, bu mon verre cul sec devant les yeux écarquillés de Sergio et suivi le commandant vers le bal. J'aurais volontiers avalé plus de verres, pensai-je, si j'avais su comment aller se dérouler la soirée. Les invités s'écartèrent sur notre passage alors que nous prenions place au centre de la piste. Comme s'il avait compris le changement d'ambiance de la soirée, l'orchestre se mit à jouer une douce mélodie de valse. Mes yeux lançaient des éclairs alors que le commandant me prit par la taille pour danser. Cela sembla amuser l'américain qui me murmura à l'oreille :

- Faites au moins semblant d'aimer danser avec moi.

Je n'avais jamais vécu des minutes aussi longues. Nous étions maintenant proches, trop proches à mon goût et je pouvais sentir l'odeur de son parfum trop fort mêlé à sa transpiration. Je priai intérieurement qu'on me sauve, que n'importe quoi puisse m'arracher à cette danse languissante. Mes vœux se réalisèrent, à ma grande surprise, lorsque le soi-disant « Carlos de Albornoz », riche homme d'affaire nous interrompît.

- Señorita, souhaiteriez-vous m'accorder cette danse pour quelque chose disons de plus « traditionnelle ».

- Vous permettez, grogna le commandant, en m'écartant du fils de Santa Anna.

Mais je résistai fermement.

- Danser sur quelque chose de plus énergique, me scierait à merveille.

Et je plantai le commandant américain, entrainé par Alejandro de Santa Anna, qui fit un signe discret à l'orchestre.

- Vous venez de me sauver d'une situation bien déplaisante, lui murmurai-je.

- Il faut être abruti pour ne pas remarquer que vous n'étiez pas dans votre assiette.

- Suis-je donc si expressive ?

EsperanzaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant