Chapitre 8

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Californie 1821

La nuit est noire et menaçante. Deux hommes se font face, ils sont agités et se contrôlent pour ne pas céder à la panique. Un enfant épie la conversation qui se déroule devant ses yeux, caché derrière les rideaux. Il glisse sa petite tête discrètement pour mieux observer les deux interlocuteurs.

- Tu dois absolument quitter la Californie sur le champ, faites vos bagages pour l'Espagne le plus vite possible. La ville n'est plus sûre pour vous. J'ai essayé de retenir les Mexicains, mais une partie s'est détachée de mes troupes et ils font désormais route seuls. Ils sont dangereux, j'ai perdu leur contrôle.

- Nous partirons demain, aux premières lueurs de l'aube. Tu nous as déjà assez aidés, je ne l'oublierais pas. Rentre chez toi maintenant. Esperanza et Lucia sont en sécurité.

Leurs regards graves se soutiennent et c'est comme si un accord commun avait été conclu. L'adieu est silencieux. L'homme, venu avertir du danger, quitte la demeure et la porte se referme derrière lui.

Californie 1835

- Lucia Rodriguez ?

Je me retournai face à un homme hébété, la bouche ouverte comme s'il se réveillait d'un rêve. Il avait les cheveux grisonnants, et s'appuyait sur une canne pour marcher et soulager la jambe en bois qui devait peser lourd. Ses beaux yeux bleus étaient incrédules et de jolies rides illuminaient son visage. Il tendit une main vers moi.

- Lucia ?

Je reculai instinctivement sur la défensive, les plans dans une main et le poignard dans l'autre en guise de protection. Ma respiration était trop rapide, j'essayai de retrouver mon sang froid.
- Vous, vous êtes Santa Anna, bégayai-je.
Il acquiesça imperceptiblement. J'essayai de refouler les émotions qui déferlaient sur moi comme dans une tempête.

- Vous avez vendus mes parents aux révolutionnaires mexicains, murmurai-je la rage aux lèvres. J'attendais sa confirmation, je savais que Sergio avait raison.

- Je...

Il ne termina pas sa phrase et ses yeux s'écarquillèrent.

- Tu es la fille de Lucia et Rafaël.

- Je ne connais pas ces gens.

- Ce sont tes parents.

- Vous les avez trahis.

Il secoua la tête. Ses yeux devinrent humides, des émotions contradictoires semblaient danser dans ses yeux.

- Répondez-moi !

J'étais déconcertée, il n'était pas du tout l'homme que j'avais imaginé et comme le barbare sanguinaire que m'avait dépeint Sergio. Peut-être jouait-il la comédie pour me tromper.

- Je n'ai jamais fait une telle chose.

- Menteur ! Menteur !

- Qui vous a dit de telles atrocités ?

Je secouai la tête.

- Répondez à ma question !

Je cherchais une lueur de mesquinerie, n'importe quel signe de perversité qui confirmerait que cet homme ne dit pas la vérité et me manipule. Mais je ne voyais devant moi qu'un homme dont la souffrance et la désolation se lisait dans des yeux beaucoup trop expressifs pour être manipulateurs.

C'est alors que le fils de Santa Anna débarqua devant l'entrée de la chambre :

- Que se passe-t-il...

Il ne finit pas sa phrase, en découvrant la scène qui se déroulait sous ses yeux. Cette irruption me rendit la lucidité qu'il me fallait pour me décider à m'enfuir. Les plans toujours à la main, je me ruai hors de la pièce, profitant de la confusion générale. Les deux hommes étaient trop abasourdis pour intervenir et il fallu à Alejandro quelques secondes avant qu'il ne se lance à ma poursuite.

- Arrêtez-vous, arrêtez-vous m'ordonna-t-il.

Mais rien ne pouvait plus arrêter ma fuite. Je revoyais les flammes, le corps de ma mère inerte, les cris, les coups de feu, la peur, la solitude, le vide qui s'était emparé de mon être à cet instant. Je courrais à travers des flammes qui me brulaient les jambes, léchaient mes cheveux. Elles continuaient à grandir, grandir pour me consumer tout entière. Je m'arrêtai de courir seulement lorsque je crus m'évanouir de fatigue et du manque d'oxygène. Alors, sans savoir quelle était la cause de ma tristesse, je laissai libre cours à mes larmes.

EsperanzaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant