Chapitre 2 : les Ombres de Ravencroft

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Le 31 octobre, une brume épaisse enveloppait la campagne de la Nouvelle-Angleterre, dissimulant presque entièrement la silhouette imposante du manoir de Ravencroft. Phoebe, installée à l'arrière d'un élégant coupé noir, observait les paysages défiler à travers la vitre. Plus ils approchaient du manoir, plus la route semblait se resserrer, les arbres noueux se penchant comme pour les engloutir. Elle serra le petit sac à main contre elle, sentant une nervosité inexplicable monter en elle.

Le chauffeur, un homme silencieux et impassible, ne lui avait adressé que quelques mots depuis qu'il l'avait prise en charge à son appartement en ville. Les quelques tentatives de conversation qu'elle avait lancées s'étaient heurtées à des réponses laconiques. Ce silence pesant ne faisait qu'accentuer l'inquiétude grandissante de Phoebe. Et pourtant, une part d'elle-même, curieuse et intrépide, brûlait de découvrir ce que cette soirée mystérieuse lui réservait.

Enfin, après ce qui lui parut une éternité, ils arrivèrent devant le manoir. Ravencroft s'élevait devant elle, majestueux et intimidant. La façade, bien que belle autrefois, portait les marques du temps, avec des pierres noircies par l'humidité et des fenêtres aux vitres ternies. Des gargouilles en pierre semblaient surveiller les nouveaux arrivants depuis les hauteurs du bâtiment, leurs visages grotesques figés dans des expressions de défi.

Le chauffeur ouvrit la portière, et Phoebe descendit de la voiture, son regard toujours rivé sur l'édifice. L'air était chargé d'une odeur de terre mouillée et de feuilles en décomposition. Elle resserra son manteau autour d'elle, frissonnant autant de froid que de crainte.

— Par ici, mademoiselle, dit le chauffeur en lui désignant l'entrée principale.

Elle hocha la tête et avança vers la porte massive en bois, décorée de motifs complexes qui semblaient presque bouger sous ses yeux. Juste avant qu'elle ne puisse frapper, la porte s'ouvrit avec un grincement sinistre, révélant un homme d'une cinquantaine d'années, aux cheveux grisonnants et à l'allure sévère.

— Mademoiselle Phoebe, soyez la bienvenue à Ravencroft, dit-il d'une voix grave, en s'inclinant légèrement. Je suis Morton, le majordome du manoir. Veuillez me suivre, je vais vous conduire à votre chambre.

Phoebe le suivit, traversant un hall immense aux murs tapissés de portraits anciens et de tentures sombres. Des chandeliers suspendus au plafond diffusaient une lumière vacillante, créant des ombres mouvantes qui semblaient danser au rythme de ses pas. Le sol en marbre noir résonnait sous ses talons, ajoutant à l'atmosphère lugubre du lieu.

Tandis qu'ils montaient l'escalier central, une sensation oppressante s'installait en elle. Le manoir semblait habité par une multitude de regards invisibles, comme si chaque recoin, chaque tableau, chaque miroir contenait un fragment de vie passé. Elle tenta de chasser cette impression, se concentrant sur la tâche à venir : chanter, puis rentrer chez elle.

Morton s'arrêta finalement devant une porte en bois massif, l'ouvrant pour révéler une chambre somptueuse. Les murs étaient couverts de brocarts de soie pourpre, et un grand lit à baldaquin trônait au centre, drapé de lourds rideaux de velours. Une grande fenêtre offrait une vue sur les jardins noyés dans la brume, mais ce qui attira le plus l'attention de Phoebe fut le piano à queue, noir comme la nuit, qui occupait un coin de la pièce.

— Votre chambre, mademoiselle, dit Morton. Le dîner sera servi dans une heure. En attendant, si vous avez besoin de quoi que ce soit, tirez simplement sur la corde de la cloche. Je serai à votre disposition.

Phoebe le remercia d'un signe de tête, puis, une fois seule, elle s'approcha du piano. Elle effleura les touches du bout des doigts, une mélodie familière lui revenant en mémoire. Mais avant qu'elle ne puisse s'y plonger, un léger courant d'air fit frémir les rideaux, et un frisson glacé remonta le long de son échine.

Se retournant brusquement, elle aperçut une ombre dans le miroir de la pièce. Mais lorsqu'elle fixa plus attentivement, l'image disparut. Son cœur battait la chamade. Était-ce son imagination, ou quelque chose d'autre ?

Secouant la tête, Phoebe se dit qu'elle était juste fatiguée. Après tout, ce manoir et ses mystères avaient de quoi mettre n'importe qui mal à l'aise. Elle se tourna vers la fenêtre, observant la nuit tomber sur Ravencroft, et se demanda si elle avait fait le bon choix en acceptant cette invitation.

Mais avant qu'elle puisse vraiment y réfléchir, le carillon lointain d'une horloge résonna, marquant le début de la soirée. Et quelque part, dans l'obscurité du manoir, des yeux invisibles se fixaient sur elle, attendant patiemment.

Les ombres de la mélodieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant