Chapitre 6 : la première épreuve

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Les jours suivants, Phoebe s'installa dans le manoir de Ravencroft. La décision de rester ne s'était pas faite sans hésitation, mais chaque pièce du manoir, chaque écho dans les couloirs, semblait l'appeler, la rassurant sur son choix. Owen, toujours présent mais respectueux de son espace, veillait à ce qu'elle se sente à l'aise, tout en la préparant pour la tâche qui l'attendait.

Un matin brumeux, alors que Phoebe explorait les jardins négligés qui entouraient le manoir, Owen la rejoignit. Le silence entre eux était devenu une forme de communication, chaque regard, chaque geste, chargé de significations.

— Aujourd'hui, c'est le jour, dit-il enfin, brisant le silence feutré de la brume.

Phoebe se tourna vers lui, les sourcils froncés.

— Le jour ? De quoi parlez-vous ?

Owen prit une profonde inspiration.

— Le manoir va vous présenter votre première épreuve. Une âme en peine s'est manifestée. Vous devrez l'apaiser, la libérer.

Phoebe sentit un frisson de peur la parcourir, mais elle tenta de rester calme. C'était ce pour quoi elle avait accepté de rester, après tout. Elle se devait d'affronter ce qui venait, de prouver que son choix n'était pas une erreur.

— Comment vais-je savoir quoi faire ? demanda-t-elle, la voix tremblante.

Owen lui adressa un sourire apaisant.

— Faites confiance à votre instinct. Le manoir lui-même vous guidera. Vous entendrez des échos, des murmures. Suivez-les. Votre voix sera votre arme la plus puissante.

Phoebe hocha la tête, essayant de calmer les battements frénétiques de son cœur. Ils retournèrent ensemble à l'intérieur, la brume les suivant comme un voile fantomatique.

De retour dans le grand salon, Phoebe sentit immédiatement que quelque chose avait changé. L'atmosphère était plus lourde, presque oppressante. La température avait chuté, et un silence étrange régnait, comme si le manoir retenait son souffle.

— Allez vers le piano, murmura Owen.

Phoebe obéit, s'asseyant sur le banc avec une lenteur presque cérémoniale. Elle posa ses doigts sur les touches, fermant les yeux pour se concentrer sur les sensations autour d'elle. Pendant un moment, rien ne se produisit. Mais soudain, une note basse résonna dans la pièce, sans qu'elle n'ait touché le clavier. Puis une autre, plus aiguë, suivie d'une troisième, dissonante.

Les ombres dans la pièce semblèrent s'allonger, se tordre, comme si elles prenaient vie. Phoebe se raidit, sentant une présence derrière elle, une aura sombre qui pesait sur ses épaules.

Elle inspira profondément et commença à jouer une mélodie douce, apaisante, tentant de calmer les forces qui l'entouraient. Les notes s'élevèrent dans l'air froid, mais la présence persistait, résistante, oppressante.

— Qui es-tu ? murmura-t-elle, s'adressant à l'esprit qu'elle sentait tout près.

Une voix faible, presque inaudible, lui répondit, mais les mots étaient indistincts, comme soufflés par le vent. Phoebe ferma les yeux, laissant son intuition la guider. Elle continua de jouer, ajoutant des paroles à sa musique, des mots qu'elle ne comprenait pas mais qui semblaient venir d'un endroit profond en elle, comme si elle les avait toujours connus.

Les ombres frémirent, se contractèrent. La température baissa encore, si bien que des frissons glacés parcouraient la peau de Phoebe. Elle sentit soudain une vague de tristesse immense l'envahir, une douleur qui n'était pas la sienne mais qui la submergeait complètement.

— Je te sens, chuchota-t-elle, sa voix à peine audible, mais pleine de compassion. Tu souffres... Montre-toi.

Les ombres vacillèrent, se condensèrent, et enfin, une silhouette émergea de la pénombre. C'était un jeune homme, à peine plus âgé qu'elle. Ses vêtements étaient ceux d'une époque révolue, déchirés et maculés de boue. Son visage était pâle, les traits marqués par le désespoir.

— Qui es-tu ? demanda Phoebe doucement, cessant de jouer pour ne pas briser le contact.

Le jeune homme leva des yeux remplis de douleur vers elle, mais resta silencieux. Cependant, Phoebe sentit ses émotions, un tourbillon de regrets, de culpabilité, et de chagrin.

Elle réalisa alors que la musique seule ne suffirait pas. Elle devait comprendre son histoire, ressentir ce qu'il avait vécu, pour l'aider à trouver la paix. Prenant une profonde inspiration, elle se leva du banc et s'approcha lentement de lui.

— Tu n'es plus seul, dit-elle doucement. Je suis ici pour t'aider. Que s'est-il passé ? Pourquoi es-tu piégé ici ?

Le jeune homme la regarda fixement, et pour la première fois, il ouvrit la bouche pour parler. Sa voix était rauque, comme s'il n'avait pas parlé depuis des siècles.

— Je... je n'ai pas pu la sauver... C'était ma faute...

Phoebe ressentit une vague d'empathie pour lui. Elle posa doucement sa main sur la sienne, sentant le froid qui émanait de son être.

— De qui parles-tu ? demanda-t-elle avec une tendresse sincère.

— Ma sœur... Elle est morte à cause de moi... Je l'ai laissée... seule...

Une larme silencieuse coula sur la joue du jeune homme. Phoebe sentit son cœur se serrer. Elle comprit que c'était là l'origine de son tourment, une culpabilité si profonde qu'elle l'avait piégé entre ce monde et l'autre.

— Ce n'était pas ta faute, murmura-t-elle. Les vivants font des erreurs, et les morts ne les retiennent pas dans leur cœur. Ta sœur t'aime toujours, et elle te pardonne. Il est temps pour toi de la rejoindre, de trouver la paix.

Les ombres autour d'eux semblèrent s'éclaircir, comme si les paroles de Phoebe avaient dissipé une partie de la douleur qui régnait ici. Le jeune homme la regarda avec une lueur d'espoir dans les yeux, comme s'il voulait croire en ses paroles, mais qu'il n'osait pas.

— Chante pour lui, Phoebe, intervint la voix douce de Owen, qui était resté en retrait.

Phoebe acquiesça, puis retourna au piano. Elle commença à chanter une mélodie douce et apaisante, une berceuse ancienne, pleine de chaleur et de réconfort. Sa voix s'éleva, claire et pure, remplissant la pièce d'une lumière invisible. Elle y mit toute son émotion, toute sa compassion, chantant non seulement pour l'esprit tourmenté devant elle, mais aussi pour toutes les âmes qui erraient encore, prisonnières de leurs regrets.

Peu à peu, le visage du jeune homme se détendit. Ses traits, marqués par la douleur, semblèrent s'adoucir, et un sourire timide apparut sur ses lèvres. Les ombres autour de lui s'évaporèrent, et sa silhouette devint de plus en plus transparente.

— Merci, murmura-t-il dans un souffle avant de disparaître complètement, emporté par les notes de la mélodie de Phoebe.

Le silence retomba dans le grand salon, mais cette fois, il n'était pas pesant. Il était paisible, rempli d'une sérénité nouvelle.

Phoebe se redressa lentement, essuyant les larmes qui avaient coulé sur ses joues sans qu'elle s'en aperçoive. Elle se sentait épuisée, vidée, mais aussi étrangement légère. Elle avait réussi. Elle avait aidé une âme à trouver la paix.

Owen s'approcha d'elle, un sourire rassurant aux lèvres.

— Vous avez accompli ce que j'espérais, Phoebe. C'était votre première épreuve, et vous l'avez surmontée. Mais ce n'est que le début. D'autres âmes auront besoin de votre aide, et chaque épreuve sera différente. Mais je sais que vous êtes à la hauteur.

Phoebe le regarda, une nouvelle détermination dans les yeux. Elle comprenait désormais que sa mission à Ravencroft était bien plus vaste que ce qu'elle avait imaginé. Elle était prête à l'accepter, à affronter les épreuves à venir.

Le manoir de Ravencroft avait trouvé son chant, et Phoebe, son destin.

Les ombres de la mélodieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant