Chapitre 20

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Tout était si flou, si confus, que je n'ai pas vue les ambulances arrivées. J'ai observé la scène depuis la fenêtre du bureau, le cœur lourd, tiraillée entre l'envie de courir après Nathan et l'obligation de rester en retrait. Lui qui est d'ordinaire imposant, paraissait brisé, allongé sur cette civière. Ces derniers mois, il s'est beaucoup démené pour l'entreprise, à croire que le monde reposait sur ses épaules. J'aurais dû le voir venir. Nous tous, au bureau, aurions dû.

Les brancardiers l'ont pris en charge rapidement, en suivant scrupuleusement les directives laissées par Samantha afin d'éviter toute fuite d'informations. Elle a beau m'agacer, force est de reconnaitre qu'elle gérait la situation d'une main de fer, rappelant à chacun le devoir de confidentialité qui l'incombe. C'est une qualité primordiale qu'il me manque cruellement.

Elle incarne tout ce que je ne suis pas, et que je ne serais probablement jamais. L'autorité naturelle, l'assurance... Je suis loin d'e lui arriver à la cheville. Et là, dans ce moment d'incertitude, je comprends à quel point elle lui est indispensable. La note laissée aux employés, stipulant qu'aucune fuite ne serait tolérée, a résonné comme une injonction martiale dans les bureaux. Personne n'ose parler à voix haute, de peur que les murs eux-mêmes ne transmettent des informations aux médias. La discrétion est de mise, et Samantha veille à ce qu'elle soit respectée.

Lorsque l'un des ambulanciers m'a gentiment suggéré de les laisser faire leur travail, j'ai obtempéré sans un mot.

- « Laissez-nous faire notre job », m'avait-t-il poliment envoyé sur les roses, avant de l'embarquer.

Il avait raison. Nathan avait besoin de soins professionnels, et ma nervosité n'aurait fait qu'empirer les choses. Pas de mes questions incessantes, mais de mes regards angoissés. Alors je suis restée figée dans ce bureau déserté par la plupart des employés, avec pour seule compagnie mon inquiétude grandissante. Il faisait nuit, mais je ne pouvais pas rentrer chez moi. Je ne voulais pas. Quelque chose me retenait ici, dans ces murs où Nathan avait passé tant d'heures. J'avais toujours su qu'il travaillait trop, qu'il s'épuisait à la tâche, mais jamais je n'aurais pensé que cela le mènerait à une telle extrémité. Il avait toujours semblé indestructible, inébranlable.

Les heures s'étirent, pesantes, sans savoir combien de temps cela va prendre. Le patron ne voudrait pas que nous paniquions. Alors je fais comme les autres : j'attends ! A un moment, je me décide à rejoindre la salle de réunion, où ses plus fidèles employés se sont rassemblés pour se soutenir les uns les autres. Des regards inquiets et des murmures flottent dans l'air alors que je rejoins le groupe :

- Vous croyez qu'il va s'en sortir ? Chuchote Emma, une assistante administrative qui n'a jamais eu la moindre interaction directe avec Nathan, mais dont l'attachement à l'entreprise est indéniable.

- Il est fort. On parle de Nathan, quand même ! Rétorque Tom, son regard perdu dans le vide, tentant de se convaincre lui-même.

Tom était là depuis des années, bien avant que Samantha n'arrive, et avait assisté à la transformation de cette belle entreprise. Pour lui, Nathan ne peut pas faillir.

- Il est fait d'acier, répond un autre, ça ne peut pas être si grave...

Mais je sais que ce n'est pas vrai. Ce que j'ai vu ce matin, c'était plus que de l'épuisement.

- Oui, mais il est humain après tout, intervient Claire, toujours pragmatique.

Elle est l'une des rares à parler ouvertement de ce que tout le monde pense tout bas, à savoir que Nathan est loin d'être invincible. Son corps a cédé sous la pression, et nous n'avons rien vu venir.

Tous, parlent de lui avec une admiration indéfectible, comme si sa force mentale, son endurance, allaient suffire à le tirer d'affaire. Moi, je me sens coupable. Coupable d'avoir vu, d'avoir su, et de n'avoir rien fait. Chaque intervention ne fait qu'accroitre ce sentiment. J'aurais dû faire plus, être plus attentive. Plus présente ! Mais il était si distant, si froid parfois, que je me suis dit qu'il gérait cela mieux que moi. Il n'a jamais laissé transparaître la moindre faiblesse, mais tout le monde a des limites, et il les a clairement dépassées.

Je dois m'éloigner au plus vite. Aussi, je prétexte un oubli dans mon sac pour m'éclipser et rejoindre mon espace de travail. Je m'assois sur la chaise, face à l'écran éteint, perdue dans mes pensées. Combien de fois ai-je tenté de lui dire qu'il devait ralentir, qu'il devait prendre soin de lui ? Mais à chaque fois, il me coupait d'un geste ou d'un regard. Il avait cette façon de minimiser tout ce qui concernait sa santé, comme si cela n'avait aucune importance.

- « Je n'ai pas le temps de m'arrêter ! ».

Voilà ce qu'il disait. C'était toujours la même chose et moi, naïve, je l'ai cru. Pourtant, les signes étaient là. Les cernes sous ses yeux, la fatigue dans ses gestes, son ton plus sec que d'ordinaire. Il devenait de plus en plus distant, même avec moi. Il y avait des jours où je ne savais même pas s'il se rendait compte de ma présence. J'ai pris cela pour de la rigueur professionnelle, mais en réalité, il s'éloignait, il se perdait dans son travail, s'y noyait peut-être.

Quel bordel !

La fatigue me tombe dessus mais je ne peux pas partir, pas avant de savoir comment il va. C'est étrange de ressentir autant de culpabilité. Après tout, je ne suis qu'une employée. Mais je me sens impliquée, trop même. Surement parce qu'il ne se confie à personne, ou parce qu'il m'a parfois semblé qu'il voulait m'en dire plus. Et puis, il y a eu cet aveu... cet instant à l'hôpital où il m'a confié ses sentiments. Je chasse cette pensée d'un revers de la main.

Ce n'est ni le lieu ni le moment.

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FOREVER YOURS II (en correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant