Chapitre 7

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Cher professeur Anton,

C'est avec un immense regret que je me vois dans l'obligation de vous faire part de ma démission.

Althéa laissa sa plume en suspens. Cela ne convenait pas, c'était bien trop formel.

Dehors, le soleil brillait à travers les rideaux et les oiseaux chantonnaient dans le vieux chêne jouxtant la fenêtre de sa chambre. La journée s'annonçait magnifique en contraste avec ses pensées moroses. Cependant, elle n'avait guère le temps d'admirer le spectacle.

Assise à son bureau, la jeune femme essayait désespérément de rédiger sa lettre de démission. Seulement, l'exercice s'était révélé bien plus difficile qu'escompté.

Elle s'attelait à la tâche depuis plus d'une heure, et pourtant, elle n'arrivait pas à composer quelque chose de satisfaisant.

Elle aurait tant aimé pouvoir coucher sur le papier le fond de sa pensée, et dire à ce phallocentrique à quel point il la décevait. Toutefois, c'était une très mauvaise idée, elle en avait parfaitement conscience.

Tout ce qu'elle écrivait n'était que platitude et bien loin d'exprimer ce qu'elle ressentait après son entretien avec le conservateur. À savoir désillusion, colère et surtout de la honte.

La veille au soir, elle avait éclaté en sanglots devant son père adoptif et Eujen après qu'ils l'aient accueillie joyeusement, une coupe de champagne à la main. Incapable de leur faire part de son échec, elle s'était réfugiée dans sa chambre.

Son frère de coeur avait bien tenté au début de l'y en faire sortir, mais avait abandonné après qu'elle l'ait supplié de la laisser tranquille.

Toute la nuit, elle avait réfléchi et avait fini par en venir à la conclusion qu'elle devait quitter cet emploi sans avenir. Cependant, elle était mortifiée à l'idée de renoncer à ses rêves. Qu'allait-elle faire de sa vie si elle ne pouvait pas être archéologue ?

Elle chiffonna la lettre et la jeta de frustration à travers la pièce. La boule de papier alla rejoindre ses congénères qui commençaient à s'entasser près du lit.

Althéa attrapa une nouvelle feuille et trempa sa plume dans l'encrier.

Trois coups légers furent donnés sur la porte.

— Althéa, es-tu réveillée ? J'aimerais te parler.

En percevant la voix de son père adoptif, la jeune femme comprit que l'heure était venue d'affronter la réalité.

Il avait attendu les premières lueurs du matin avant de se querir de son état afin de lui laisser le temps de reprendre ses esprits, néanmoins il n'accepterait pas de rebrousser chemin, même si elle le supplier.

Aussi gentil soit-il, il n'en restait pas moins le chef de famille.

— Vous pouvez entrer, répondit-elle en parlant assez fort pour qu'il l'entende.

Charles Beauchamps s'exécuta, un plateau chargé de victuailles.

— Tu es déjà debout à ce que je vois. Je t'ai amené ton petit déjeuner. J'imagine que tu dois être affamée puisque tu n'as rien avalé hier soir.

Elle se leva de son bureau pour le rejoindre.

Elle mourrait effectivement de faim.

— C'est une délicate attention. Merci beaucoup, père.

Curieux, ce dernier jeta un rapide coup d'œil vers son bureau.

— Qu'écris-tu de si bon matin ? s'enquit-il.

Elle posa un regard embarrassé sur lui avant de lui répondre.

— Ma lettre de démission.

Charles soupira avant de s'asseoir sur le lit et d'inviter sa pupille à en faire de même.

Bien qu'à contrecœur, elle consentit à lui obéir et prit place à ses côtés.

— À ta réaction hier soir, j'ai deviné que tout ne s'était pas passé comme prévu au musée.

— C'est le moins que l'on puisse dire, confirma-t-elle, des sanglots dans la voix.

— Souhaites-tu m'en dire plus ?

— Le professeur Anton ne m'a pas nommée comme archéologue en chef. Il a préféré choisir un homme. Un certain Romeo Conti, lâcha-t-elle avec amertume.

— Je vois. Cela ne m'étonne pas venant de ce cher Édouard. Il fait partie de la vieille école, surtout concernant les femmes. Pour être tout à fait franc, j'ai même été surpris quand il a accepté de t'embaucher.

— Il l'a fait uniquement parce qu'il vous devait un service, précisa Althéa.

Son bienfaiteur laissa échapper un petit rire.

— Je comprends mieux pourquoi cela a été aussi facile.

— Mais le pire est qu'il m'a affirmé, droit dans les yeux, qu'une femme ne sera jamais nommée archéologue tant qu'il dirigera le musée.

— Ce ne sont effectivement pas des paroles agréables à entendre. Néanmoins, il ne restera pas le conservateur pendant encore très longtemps et je suis certain que les mentalités finiront par évoluer avec les années. Tu ne dois pas perdre espoir et surtout tu dois t'accrocher.

Althéa fit la moue.

— Je n'en ai plus très envie. Je ne supporte plus l'idée de devoir me rendre là-bas chaque jour pour côtoyer ces misogynes en faisant semblant d'être heureuse de n'être reléguée qu'au poste de secrétaire.

Charles prit tendrement la main de sa fille adoptive.

— Je ne prétendrais pas comprendre ce que tu ressens, ce serait un mensonge, toutefois, je suis certain d'une chose : nous n'avons jamais rien sans rien. Ta mère en est le meilleur exemple.

Énervée, Althéa lâcha la main de son bienfaiteur et se leva.

— Cette histoire n'a rien à voir avec elle, vociféra-t-elle.

— Althéa, je suis conscient du fait que tu n'aimes pas beaucoup parler d'elle.

— Elle m'a abandonnée pour partir à la chasse au trésor, hurla-t-elle. Alors je ne comprends pas en quoi la mentionner va m'aider à surmonter mes problèmes.

Charles Beauchamps se leva à son tour.

— Elle ne voulait pas te quitter, c'était un accident. Tu le sais parfaitement.

La jeune femme serra la mâchoire de colère. Elle refusait de poursuivre cette conversation. Pour inviter son père adoptif à prendre congé, elle attrapa le petit pain posé sur le plateau et croqua dedans.

Celui-ci, ayant compris le message, soupira.

— Très bien, continue de ruminer autant qu'il te plaira, je ne vais pas insister pour le moment. Sache juste qu'Hélène s'est battue durant des années afin d'être reconnue pour ses compétences et avant que ses pairs passent outre son genre. Je suis certain que tu y arriveras aussi, alors ne baisse pas les bras. Ce n'est que partie remise. Tu ressortiras plus forte de cette épreuve.

Alors qu'elle gardait toujours le silence, il se contenta de lui frôler l'épaule.

— Je dois y aller, mais nous continuerons cette conversation plus tard. Tu ferais mieux de te dépêcher, sinon tu risques d'être en retard au travail.


A la recherche de l'ile d'IsisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant