Catualon le nain - 1 -

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Le soleil s'abîmait en traits de feu derrière une colonne de nuages, lourds navires à la dérive dans l'éclat moribond qui rougissait leurs flancs. Catualon dégustait sa tisane avec une délectation immuable, seul face au firmament. Sous son regard d'éternel émerveillé, la lente inhumation de l'astre peignait l'océan de reflets enflammés. Tous les soirs, par temps clair, il venait saluer l'œil du jour qui fuyait sous l'horizon, englouti dans le ventre de la mer. Très poétiquement, il lui souhaitait un agréable voyage au-delà du vide, dans le monde des géants. « Sans poésie, point de magie » répétait-il comme un leitmotiv à ceux qui faisaient appel à ses services. Catualon était le premier (et sans doute le dernier) des « poégiciens », comme il aimait s'autoproclamer, non sans auto-dérision.

Assis contre le rocher qu'il avait baptisé « dent dedans », en raison de sa ressemblance avec une molaire renversée, le nain se laissait bercer par le sifflement du vent dans les bruyères. La vie ne l'avait pas très bien doté, physiquement parlant : à peine la taille d'un enfant alors qu'il avait franchi l'acmé de son existence et que, déjà, des poils gris clairsemaient sa barbe blonde. Comme pour souligner l'irréversibilité de sa lente dégénérescence, ses cheveux commençaient à se raréfier au sommet de son crâne. Mais cela ne gâtait en rien ce qu'il contenait. En compensation de sa difformité, les dieux lui avaient accordé des capacités intellectuelles qu'il avait eu la sagesse de cultiver méthodiquement. Couplées à une sensibilité exacerbée, ces qualités lui avaient permis de développer une philosophie unique dans le petit monde des enchanteurs.

Le regard noyé dans l'horizon rougeoyant, il apprécia la dernière gorgée de son breuvage, chargée d'épices et de miel. Le grondement des vagues sur la grève, en contrebas de la falaise, ajoutait une touche mélancolique au décor. D'ici quelques minutes, comme chaque soir de pleine lune, celui qu'il avait surnommé « le visiteur du soir » viendrait lui réclamer de la musique. Il tira son biniou de sa sacoche en cuir et caressa le bourdon gravé de symboles magiques. Pour son plus grand malheur, Catualon était un piètre musicien. Il n'avait jamais réussi à tirer que des stridulations criardes de son instrument. La moindre mélodie à laquelle il s'essayait déclenchait l'envol des oiseaux et faisait hurler les chiens à la mort. Par chance, le nain était bien meilleur enchanteur que soliste. L'incontournable évidence de sa médiocrité musicale admise, il s'était autorisé de substantielles améliorations ésotériques sur sa cornemuse. Ces manipulations peu orthodoxes lui avaient permis d'entrer en contact avec le visiteur.

La première fois que l'être invisible s'était manifesté, Catualon avait été saisi de frayeur. Bien que thaumaturge accompli et habitué aux émanations des autres mondes, il restait terriblement sensible aux légendes de la nuit. La voix fluette l'avait surpris peu après la fin de sa méditation crépusculaire.

Par-delà la toile scintillante de la lune, dont les reflets dansaient sur l'immensité de la mer, le monde s'était couvert d'un épais manteau d'ombres. Un an plus tôt, au même endroit, le chant sifflant et nasillard d'une langue inconnue l'avait pétrifié. Cela semblait provenir de loin et de très près en même temps. Ar c'hannerezed-noz ? Lavandières de la nuit ? avait-il songé avec angoisse. Par prudence, il s'était tapi dans l'anfractuosité d'un bloc de granit pour attendre en silence. Après quelques minutes, le calme était retombé sur la falaise. Après quelques minutes, convaincu que la chose s'était éloignée, Catualon était sorti de sa cachette. À peine avait-il quitté son abri qu'il avait ressenti comme une caresse sur la nuque. Il avait fait un bond en poussant un glapissement et s'était mis à courir en zigzags autour des rochers. Derrière lui, un petit rire cristallin avait carillonné.

Le lendemain, un peu honteux d'avoir décampé comme un lapereau, il s'était promis de réagir de façon plus sereine. Et cette fois, il avait abordé la manifestation paranormale avec beaucoup plus de flegme : dès les premiers chants, il avait sorti sa flûte en os et s'était essayé à un accompagnement. Bien que médiocre, la mélodie avait fait réagir la chose invisible. Elle avait de nouveau posé sa patte sur Catualon, avec douceur. De ce jour, le petit magicien et le « visiteur » avaient entamé une relation faite de chants et de musique. Mais qui était cette créature ? D'où venait-elle ? Que cherchait-elle ? À toutes ces questions, le mage n'avait pu obtenir aucune réponse. Peut-être s'agissait-il d'un être primordial, aussi ancien que les pierres disséminées sur la lande. Il ne semblait pas intéressé par une communication autre que musicale. Il n'était pas agressif et Catualon avait appris à le repérer à certains signes tangibles : ses tympans avaient tendance à se boucher de manière agaçante à son approche. Puis, quand il arrivait près de lui, une brise tournoyante faisait virevolter le sable. En sa présence, l'atmosphère se chargeait d'un subtil parfum d'amande.

Le Tombeau des Géants - 1 - La changeline et l'androloupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant