Le Tombeau des Géants - 1 - La changeline et l'androloup

Les apprentis

Au sein des apprentis, Dolfi était le préféré de Dérycée. De deux ans son aîné, il avait des cheveux cuivrés et des taches de rousseur sur le visage. Sa bouille ronde, à défaut de le rendre avenant, lui conférait un air sympathique et débonnaire. D'ailleurs, il se prêtait souvent de bon cœur aux farces de la demi-fée. Dès qu'elle entra dans la salle, il lui fit signe de le rejoindre et lui ménagea une place à son côté.

Assis en face, Corusco était engagé dans une conversation à voix basse avec sa voisine de table, une adolescente amusée qui lui souriait de toutes ses dents. Cuillère dressée et virevoltante, il ne lésinait sur aucun effet pour captiver son auditrice. À peine plus jeune que Dérycée, ce filou, vantard et rieur, n'avait pas son pareil pour animer un cours de magie. Il se moquait souvent de sa « grande sœur », qui n'arrivait pas à le suivre dans la plupart des arts thaumaturgiques. Brun de cheveux comme de regard, sa peau offrait le teint hâlé des travailleurs des champs, bien qu'il ne s'abaissât jamais à marcher dans le crottin. En revanche, les jupons des jeunes paysannes ne lui répugnaient pas autant et, malgré ses treize printemps, il comptait déjà un palmarès reluisant de conquêtes sentimentales.

Morwan accrocha sa houppelande à une patère et affecta un air contrarié.

— Merci de nous avoir attendus !

Le reproche du maître, sans être particulièrement virulent, fit tomber une chape de silence sur l'assemblée.

— Fais pas ton grrrognon, répliqua l'arpenteur Gan Raez en essuyant sa moustache blonde taillée à la mode gauloise. On pensait que tu soupais dehorrs ce soirrr.

La réponse, autant que l'accent étrange du mage, déclencha quelques petits éclats de rire sous cape.

Une lueur amusée brilla dans le regard de Morwan.

— Si ç'avait été le cas, vous seriez tous morts de faim à l'heure actuelle, car j'aurais emmené avec moi Lisette et toute sa cuisine, ironisa-t-il.

Il fit un geste de la main qui signifiait que le concert de cuillères pouvait reprendre et chercha une place pour s'installer. Kénil libéra un espace en poussant Corusco, qui étouffa un juron. Morwan inclina la tête avec un sourire et enjamba le banc pour se joindre à la tablée.

D'une manière générale, Trolly-Breuil était un havre de paix et de sécurité au milieu d'un monde qui dérivait dans le sillage d'un empire romain effondré. Le reste de la maisonnée était constitué des fermiers et artisans de mèche avec les mages, des servants et de leurs familles. Tout ce petit monde s'affairait dans une ambiance bon enfant au rythme des saisons et des fêtes païennes.

Quand le repas fut terminé, Dolfi prit Dérycée par le coude et l'entraîna à l'écart.

— Cette nuit, lui glissa-t-il en chuchotant avec un air de conspirateur, nous partons en expédition dans la bibliothèque circulaire.

— Celle de Gan Raez ? s'étonna la jeune fille.

Il hocha le menton.

— Tu ne trouves pas bizarre qu'on n'ait encore jamais lancé le moindre sortilège d'invocation ?

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Depuis que je sais parler, Morwan m'instruit en tout. Botanique, astronomie, mathématiques – grecques et romaines –, philosophie, astrologie, zoologie, chant, théologie...

Il exhiba ses mains et déplia un doigt à chaque nouvelle matière enseignée. Dérycée inclina la tête avec un air impatient et poursuivit la liste à sa place.