Beltane

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Le soir de Beltane, Dérycée grimpa un talus et s'abîma dans la contemplation du couchant. Derrière elle, la plaine résonnait des danses et cris des villageois ivres. Suivant la tradition, les hommes bondissaient au-dessus des feux de joie. Plus ils sautaient haut, meilleure serait la récolte.

Assise à la frontière du silence des sous-bois, les bras autour des genoux, le menton au sommet, Dérycée ferma les yeux. L'air était frais, chargé des parfums musqués de la forêt qui reprenait sa respiration. Elle avait dansé jusqu'à en oublier ses peurs. Elle avait bu aussi. Du cidre rugueux et piquant, tiré à la barrique. Le vertige né de la boisson avait libéré son âme de ses angoisses. Avec un sourire mutin, elle avait fui les avances maladroites d'un soupirant à peine plus âgé qu'elle, tout en os et en sourires mièvres, à la lèvre surlignée d'un trait de duvet sombre. Au fond de son cœur grondait une pulsion dont le frémissement semblait irradier depuis sa cicatrice, cette tache sombre qu'elle appelait désormais sa « morsure ». En lutte contre elle-même, son tiraillement la poussait vers les clins d'œil grivois du porcher, celui-là même qui l'avait rincée de brocs de cidres. De manière inattendue, les bulles avaient décuplé sa résistance. Elle mourait d'envie de goûter au fruit que les autres jeunes croquaient à pleines dents, mais elle refusait de livrer son âme à son démon intérieur. Alors que les percussions s'éteignaient pour laisser planer les plaintes assourdies des rotes, la jeune fille fut tirée de sa rêverie par un rire enfantin, suivi d'une voix familière au timbre cassé. Elle se leva, défroissa les pans de sa tunique et prononça à voix basse une antique prière au soleil, dont le feu s'éteignait à l'horizon. Un nouveau rire, court, presque gêné, piqua sa curiosité. Elle n'était désormais plus très sûre d'avoir reconnu Dolfi. Pourquoi irait-il raconter des blagues dans un bois baigné de crépuscule ?

Inconsciemment, ses pas l'avaient menée jusqu'à l'avant-garde des chênes, juste sous l'ombre des premières branches basses. Les rais orangés ricochaient sur les feuilles en les éclaboussant de taches sanguines. À quelques pas, à genoux dans l'humus, le dos nu au-dessus de sa tunique épanouie en corolle sur ses jambes, Dolfi tendait une main mal assurée vers la fibule d'une robe blanche. Le visage d'une jeune fille, couronnée d'une natte rousse, rougissait entre les lignes d'ombre et de lumière qui la paraient de mystère. Assise sur une cuisse, les jambes serrées, le regard baissé, elle rentrait les épaules comme pour se protéger de la brise. Une brise de maladresse et d'excitation qui faisait trembler les mains du jeune homme en prise avec sa broche. Cet ultime cerbère, retenant le tissu, transformait le vêtement de lin en cuirasse impénétrable. Face à la résistance du bijou, Dolfi esquissa un geste d'impuissance. Indulgente, la demoiselle se redressa et captura son soupirant dans le filet de ses yeux noisette.

Le souffle de Dérycée se figea. Son compagnon de toujours était là, tout près d'elle, sans savoir qu'elle l'observait, dressé dans une posture ébahie, comme si son esprit s'était envolé pour d'autres cieux, inaccessibles pour elle. Trop loin, trop haut. Elle admira la finesse de sa peau, sans pour autant ressentir aucun désir. Plutôt un mélange de honte, de jalousie et de tristesse, qui l'envahissait en lame de fond, paralysant son esprit.

D'un geste nonchalant, la belle rouquine fit sauter l'aiguille qui retenait le pan de sa tunique. Le vêtement glissa le long de son épaule, s'arrêta malicieusement à la pointe d'un sein. Dolfi trembla. La peau laiteuse s'effaçait devant l'aréole rose, promesse d'une offrande exquise. D'un imperceptible mouvement du buste, la belle libéra sa poitrine, entraînant la chute des derniers plis le long de son ventre, jusque sur ses cuisses. Dans les rayons rasants coupés d'ombre, ses deux jeunes seins, menus et conquérants, lançaient un appel muet au garçon. Dolfi était hypnotisé, soumis au magnétisme des formes révélées. Un moment — une éternité dans le cœur de Dérycée — s'écoula avant que la petite rouquine ne prenne l'initiative, guidant la main du garçon jusqu'à son ventre. Électrisé par le contact de la peau satinée, il approcha ses doigts de la hanche, qu'il caressa en tremblant, puis remonta vers la rondeur tant désirée. La jeune fille ne put retenir un petit rire, le menton relevé vers les cimes qui nimbaient leurs corps de pénombre dorée.

Dérycée la vit déboucler la ceinture de son ami. C'en était trop pour la changeline. Elle expira bruyamment et recula en s'empêtrant dans les branches. Tout en courant sans but le long de la crête, elle laissa ses larmes laver son visage en feu.

Réfugiée dans sa chambre, le cœur gros à lui en faire exploser la poitrine, elle s'ensevelit sous son édredon tandis que, dans la lande, résonnaient les rires et les tambourins.

Quelques coups discrets contre sa porte la firent sursauter.

Le Tombeau des Géants - 1 - La changeline et l'androloupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant