Le Royaume d'Atales

CHAPITRE 22

Lorsque j'arrive au port, tout est calme. Je me suis finalement arrêtée de pleurer pendant le trajet. La sensation du sel est toujours présente sur mes joues humides, mais, au moins, la rage et la déception sont parties, laissant place à un pragmatisme glacial. Heureusement, sinon ça n'aurait pas été super comme première rencontre avec les autres. D'ailleurs, je ne vois personne. La lune éclaire de sa lumière pâle les larges quais déserts d'Atalès. Un petit vent frais caresse les crins de ma monture. Je descends de cheval d'un bond agile.

« Salut vieille carne. Toi aussi tu vas me manquer. »

Il souffle dans ma main et s'ébroue. J'attrape mon sac que j'avais accroché à la selle et renvoie mon cheval. Il me regarde, hésitant, avant de partir au grand galop vers la maison.

J'aperçois une coccinelle se balader sur mon bras, signe que Julian m'accompagne dans ce voyage. Il me l'a laissée il y a deux jours pour qu'elle « veille sur moi ». Je ne sais pas si une coccinelle peut vraiment m'aider dans cette mission mais au moins je sais qu'une part de mon meilleur ami est toujours avec moi.

Je m'avance et finis par apercevoir des silhouettes dans l'ombre, derrière une pile de tonneaux entreposés. Je m'approche d'eux, tendue.

- Qui est là ? demande une voix de femme.

- Bonjour, je cherche le bateau qui part pour l'expédition., répondis-je d'une voix hésitante.

Je peux à présent les distinguer. Ils sont trois : un grand homme aux cheveux bouclés noirs qui devrait avoir l'âge de mon père, une femme dont je ne peux distinguer les traits car elle porte une capuche, et un dernier garçon fluet d'une quinzaine d'années. Ils me dévisagent tous les trois d'un air curieux mais pas méchant. J'enlève ma capuche pour leur montrer mon visage.
Finalement, c'est la femme qui me répond :

- Nous aussi on attends le bateau. Il ne devrait pas trop tarder...

A peine a-t-elle fini sa phrase qu'une créature monstrueuse jaillit de la nuit et se jette sur elle. Elle arrive tellement vite que personne n'a le temps de réagir. La bête semble tout droit sortie d'un cauchemar. C'est une silhouette humaine entièrement constituée de fumée noire. Ses mains sont terminées par des griffes démesurées. La créature n'a pas de visage, juste une bouche par laquelle elle pousse des cris stridents. Des longs crocs noirs en dépassent. Elle me semble étrangement familière, je suis sûre de l'avoir déjà vue quelque part. La femme se débat dans tous les sens mais la surprise l'a placée en position de faiblesse. Le choc me cloue sur place. Mon sang se glace face à cette vision d'horreur et je suis incapable de bouger. Même si tout mon être me hurle d'agir, mes pieds restent cloués au sol.

L'homme réagit plus rapidement. Très agile, il se déplace vite et, par derrière, plante un couteau dans la tête du monstre, libérant la femme. La bête tombe raide morte avant de se dissiper dans un nuages de cendres. La femme, encore sous le choc, esquisse un mouvement vers nous, les yeux écarquillés par la peur. Pas rassurée le moins du monde, elle semble observer un point derrière nous, sans pouvoir prononcer un seul mot. Nous nous tournons tous pour comprendre ce qui semble l'effrayer. Et des ténèbres émergent cinq autres silhouettes d'ombre et de fumée noire.

Par réflexe, nous nous sommes tous rapprochés en cercle, dos à dos. Nous nous lançons un regard. Je ne connais pas ces gens, mais on va devoir s'entre-aider si on veut sortir d'ici vivants. Ce seul regard suffit pour nous mettre d'accord. Puis la femme, qui semble s'être remise de ses émotions et qui affiche désormais un air de vengeance brutale, hoche la tête et s'élance vers la première créature. Nous la suivons, en en prenant chacun une.

Je m'élance vers celle que j'ai repérée. Mes entrailles se contractent à cause de la peur et je sens mon corps se raidir. Je me force à détendre mes muscles. La bête s'avance à toute vitesse vers moi. Je sors deux couteaux.