AU-DELA DE TES OMBRES

Chapitre 33

Hailey

Jayden s'est volatilisé quand je reviens passer un coup d'éponge sur le comptoir. Je ne vais pas bouder mon plaisir. Il a apprécié ma cuisine et il adhère à mon plan. C'est sans doute une bonne chose que papa m'ait devancée, son appui crédibilise ma parole. Il n'y aura pas de sang et aucun mort. Cette seule pensée me remplit de joie.

J'entends le rocking-chair grincer sous le porche. Tout à l'heure dans la cour, quand il s'est retourné, Jayden avait le même air contrarié que ma première vision de lui sur une photo. Celui du gars qu'on dérange et n'a pas l'intention de s'en excuser. L'impression s'est inversée dès qu'il m'a aperçue. J'ai cru mourir d'extase sous les coups redoublés de mon cœur. Dans les divers scénarios qui ont occupé mes deux heures de route vers lui, son regard me réservait le même accueil. Alors, son baiser enfiévré dans l'arrière-cuisine... Ouah !

Jayden m'a tracé la voie jusqu'à lui en laissant la porte entrouverte. Je récupère nos desserts dans le frigo et le rejoins dans la fraîcheur de la nuit. Une agréable odeur d'herbe sèche m'accueille sitôt passé le seuil. La lumière chiche d'une seule ampoule placée au-dessus de la porte éclaire le porche, plongeant son occupant dans une semi-pénombre.

Jayden interrompt son balancement. Il pose son cigare dans le cendrier sur pied et s'empare de la coupe que je lui tends.

— Panna cotta et son coulis de framboise, annoncé-je. Je le réussis comme personne, c'est le dessert préféré de mon père.

— J'adore l'idée que tu me prennes pour ton père, rigole-t-il. Cela dit, sans vouloir te paraître trop paternel, tu devrais te couvrir, tu n'es pas assez habillée.

Il retrace de l'index les frissons sur mes bras nus, qui redoublent d'intensité sous la caresse.

— Toi non plus, constaté-je. Ça sent la fin de l'été, et encore plus ici, au pied des montagnes, je trouve. Réchauffe-moi.

Je m'installe sur ses genoux avant qu'il ait le temps de refuser. Parler est une perte de temps à laquelle je n'ai plus envie de m'adonner à ce stade de la soirée. Après quelques secondes d'hésitation, Jayden referme son bras libre autour de mes épaules. Je me laisse aller contre son torse bouillant à travers le mince tissu de sa chemise. Voilà où est ma place réelle, j'en rêvais depuis deux semaines que je m'en suis éloignée.

— Tu peux m'expliquer comment je vais goûter au dessert préféré de ton père, maintenant ? m'indique-t-il en me pointant avec sa coupe.

La cuillère bascule dans le mouvement, rebondit sur le bras du rocking-chair et termine son parcours sur le plancher. Je retiens un ricanement moqueur et plonge ma propre cuillère dans sa panna cotta. Il accepte la becquée avec un sourire en coin. L'obscurité dans laquelle nous sommes plongés me pousse à m'enhardir.

— Tu sais à quoi j'ai pensé en préparant ce dessert, osé-je.

— Hmmm ? s'intéresse-t-il, la bouche pleine.

Je lisse le coulis de framboise avec le dos de ma cuillère et en tapisse ses lèvres. Puis je m'avance sans hésiter et recueille le suc aromatisé du plat de la langue. Je n'en reviens pas de mon audace, mais pour tout avouer, j'en crevais d'envie depuis notre dernier baiser.

— Fascinant ! admet-il en léchant ses lèvres à son tour. Et quand tu as travaillé la crème, à quoi as-tu pensé ?

Je rougis sous l'allusion salace J'avais presque oublié son absence de pudeur. Il pourrait aussi bien enlever sa chemise pour m'en recouvrir. La pulpe de ses doigts balayant la chair de poule sur mon bras lui en a déjà soufflé l'idée, j'en suis certaine.

— Tu n'es pas venue ici uniquement pour me soumettre ton plan, n'est-ce pas ? Ou pour t'assurer que je n'exécuterais pas le mien. Tu avais une autre intention en tête.