Chapitre 5

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Boss passa devant la tente d'Idi à plusieurs reprises, se demandant comment elle se débrouillait cette première nuit. Ce n'était pas la première fois qu'elle tenait le rôle de la voyante, elle était d'ailleurs très douée. Sa capacité à manipuler et à lire les gens, était tout ce dont elle avait besoin pour être la meilleure des voyantes. Pourtant, il mourait d'envie d'aller la voir. Il fit plusieurs aller et retour devant sa tente, trouvant des excuses ici et là pour changer sa route, mais à chaque fois, les rideaux de la tente étaient fermés, indiquant qu'elle était avec un client. Elle laissait toujours les rideaux entrouverts quand elle était libre. 

Il était maintenant minuit passé et le cirque allait bientôt fermer. Les artistes terminaient leurs derniers shows de la soirée et certains commençaient déjà à ranger. Les rideaux de la tente d'Idi en revanche étaient obstinément fermés. Il avait été occupé toute la soirée pour régler divers problèmes ici et là, mais à présent, il était libre et il voulait la voir. Il se posta devant la tente, assez à l'écart pour ne pas entendre ce qu'il se passait à l'intérieur, mais pas trop pour pouvoir voir le moment où son dernier client partirait. 

Impatient, il alluma une première cigarette qu'il fuma rapidement. Il était plus nerveux qu'il ne pensait. La façon dont tout le monde la dévisageait, semblait la dénuder des yeux, le dérangeait, cependant il avait l'habitude. Idi était une femme exceptionnellement belle, et sa nature même hypnotisait tout être humain qui croisait son passage, homme comme femme. Non, ce qu'il le dérangeait vraiment, c'était la manière dont elle regardait les gens en retour. Il pouvait lire une nouvelle faim dans son regard, et c'est bien cela qui le dérangeait. 

Elle n'était pas une femme normale, elle n'était pas humaine, elle était une déesse immortelle. Si elle se lassait de lui et décidait d'aller voir ailleurs, il ne pourrait rien faire pour la retenir, et c'est ce qu'il lui faisait le plus peur. Il allait bientôt fêter ses 45 ans et il était terrifié du moment où elle allait le quitter à cause de son âge. Il pouvait déjà voir la façon dont elle observait les jeunes hommes qui venaient visiter le cirque. De la même façon dont elle l'avait regardé la première fois qu'il l'avait rencontré. Il avait su immédiatement qu'elle le voulait autant qu'il la voulait. Les choses s'étaient faites simplement et rapidement. Bien sûr, à ce moment-là, il ignorait qu'elle n'était pas humaine. Tout ce qu'il voyait était que la plus belle femme qu'il lui ait été donné de rencontrer, le voulait. Il repensa avec envie à leur première nuit. À l'époque, il partageait encore sa roulotte avec deux autres membres du cirque et il n'avait pas pu la ramener avec lui. Cela ne l'avait pourtant pas gênée. Elle l'avait emmenée sur la plage. Il avait volé en cuisine une bouteille de whisky, et ils avaient bu et rient sur la plage pendant des heures en regardant le coucher du soleil. Elle avait fait le premier pas, elle l'avait embrassé avec passion et immédiatement chevauché. Ils avaient fait l'amour une première fois sur cette plage, puis elle l'avait entrainé dans l'eau. 

Maintenant qu'il savait ce qu'elle était, il se demandait si elle n'avait pas essayé de le noyer à ce moment-là et avait simplement changé d'avis à la dernière minute. Sans le savoir, il avait passé un test important. Ils avaient refait l'amour plusieurs fois cette nuit, dans l'eau, puis de nouveau sur la plage. Il était beaucoup moins expérimenté à l'époque, mais avait beaucoup plus d'énergie. Il était tombé fou amoureux d'elle cette nuit même. À présent, l'idée de la perdre le rendait fou. Cette année sans elle, sans savoir si elle en avait enfin fini avec lui, l'avait poussé au bord de la folie. Il alluma une deuxième cigarette et se mit à faire les cent pas.

Il s'apprêtait à jeter son mégot quand une jeune femme sortie de sous la tente. Il n'en aurait rien pensé si la jeune femme n'avait pas été complètement d'échevelée, rouge jusqu'aux oreilles et avait un sourire béa au visage. Elle passa devant Boss sans le voir, mais remis instinctivement de l'ordre dans sa tenue. Il la regarda partir, elle courait presque. Il jeta son mégot avec colère et entra dans la tente. Idi passait sa robe sur ses épaules. Son foulard, recouvrant normalement sa tête et ses épaules, était maintenant au sol. Elle lui sourit en le voyant et ferma sa robe par un nœud sur la taille. Elle n'essayait même pas de cacher ce qu'il venait de se passer. 

« Que se passe-t-il ? », demande Boss tout en sachant très bien ce qu'elle venait de faire, comme le prouvait son sourire satisfait et son visage détendu.

Les cartes de tarot étaient éparpillées un peu partout. Idi se pencha pour les ramasser. Il resta figé à l'entrée de la tente. Elle lui jeta un regard amusé, et déposa sur la table les cartes qu'elle venait de ramasser au sol. Elle s'avança vers lui et il se raidit. Elle passa les bras autour de son cou et dit :

« Une autre cliente satisfaite »

Elle laissa tomber ses bras en riant, satisfaite d'elle-même, et retourna à sa table pour finir de ranger.

« Tu viens m'aider à faire la fermeture ? », elle lui demande comme si de rien n'était.

Il pouvait sentir la colère et la frustration lui saisir la poitrine. Il aurait pu crier, faire une scène, partir en trombe, mais il se savait impuissant face à elle. Elle était plus forte, plus intelligence et surtout, elle n'avait pas besoin de lui. Elle partirait à la minute où il ne lui serait plus utile. Tout en reformant une pile avec ses cartes, elle lui jeta un regard un coin.

« Tu veux que je te tire les cartes Tom ? », elle lui demande avec un sourire provocateur.

Personne ne l'appelait plus Tom. Il était Boss pour tout le monde depuis qu'il avait pris les rênes du cirque.

« Non », dit-il simplement en faisant les cent pas sous la tente.

Surprise, elle le regarda faire en s'asseyant sur la table. Elle attendit qu'il ait fini de réfléchir et qu'il dise enfin ce qu'il avait à l'esprit. Elle était une femme patiente. Les bras croisés, elle attendit, ce qui ne fit qu'augmenter sa frustration et son irritation. Elle pouvait le ressentir. En un soupir d'exaspération, elle le fit s'arrêter. Comme guidée par une force invisible, il se dirigea vers elle et s'arrêta en face d'elle, les bras toujours croisés sur la poitrine. Se sentant libéré et de nouveau maitre de sa volonté, il lui saisit le menton, avec un peu plus d'agressivité qu'il ne voulait. Elle ne sembla pas détester cependant. Elle leva un sourcil de surprise et décroisa les bras pour se pencher un peu plus vers lui. Il passa son pouce sur son menton, là où son rouge à lèvre avait bavé. Surement après avoir embrassé la jeune femme qu'il venait de voir ressortir en trombe de la tente. Elle sourit, comprenant à quoi il pensait. Excitée par sa jalousie, elle le tira vers elle en glissa quelques doigts sous sa ceinture. Il lâcha son menton et elle fit mine de l'embrasser, mais il détourna le visage. Elle rit doucement.

« J'aime quand tu es jaloux », elle lui dit en venant lui déposant un baiser dans le cou. 

Le Cirque RossoliniOù les histoires vivent. Découvrez maintenant