Le Cirque Rossolini

Chapitre 6

Le cirque s'était installé un peu en dehors d'Athènes en Grèce. Boss avait laissé à Louis, son second, la charge du cirque. Immédiatement après leur arrivée, Boss et Idi étaient partis. Ils avaient payé un pêcheur pour les déposer sur une petite île inhabitée à 3 h de la côte.

Après leur arrivée, Idi leur fit longer la plage pendant plus de deux heures. Boss était épuisé par cette randonnée. Le jour était tombé depuis longtemps, mais Idi refusait de s'arrêter. Ils y étaient presque, elle continuait à lui affirmer dès qu'il trébuchait ou s'arrêtait pour reprendre son souffle. Nager aurait été plus simple et plus rapide, comme elle le lui rappelait à chaque fois qu'il s'énervait de cette marche interminable, mais il aurait été incapable de la suivre, et leur destination était inaccessible en bateau. Il lui fallait donc ronger son frein et espérer qu'ils arriveraient bientôt à destination.

« Nous y voilà », cria Idi victorieuse.

Boss poussa un soupir de soulagement. Il n'avait plus vingt ans et il n'aurait pas été capable d'aller plus loin. Idi, impatiente, accéléra le pas et il peinait à la suivre. Il dut lui rappeler à plusieurs reprises de l'attendre. Seule la pleine lune éclairait ses pas et il manqua de se briser le cou à plusieurs reprises. Idi semblait nerveuse. Elle avait passé plus d'un mois à le préparer pour le rituel qui allait leur permettre de rester ensemble pour toujours. Il avait compris que la pleine lune et son état physique étaient cruciaux pour le succès de cette cérémonie. Pendant un mois entier, elle l'avait forcé à manger très peu, à faire plus d'exercice et à contrôler son rythme cardiaque grâce à des séances de méditation interminables. Il avait souffert tous ces exercices sans se plaindre ou poser de questions. Il savait ce qu'il devait faire pour que le rituel soit un succès, mais il ignorait en quoi il consistait.

Plus le jour de leur arrivée à Athènes approchait, plus elle paraissait insatiable et agitée. Il pouvait voir l'anxiété grandissante d'Idi, et cela ne le rassurait pas. Il aurait même dit qu'elle avait peur, et Idi n'avait peur de rien. Ces derniers jours, elle le regardait différemment, comme si elle le voyait pour la dernière fois. Elle le touchait différemment, alternant entre des moments de rapide passion et d'autres de longues étreintes lentes et pleine de tendresse, comme si elle le touchait pour la dernière fois. Il avait beau lui demander de quoi elle était aussi effrayée, elle refusait de lui répondre. Quel que soit ce rituel qui leur permettrait de rester ensemble pour toujours, il pouvait également les séparer à jamais. Il n'était d'ailleurs pas difficile de deviner qui d'eux deux allait perdre la vie ce soir.

Il la regarda dévaler la colline pour arriver sur la plage. Maintenant qu'ils étaient si proches de leur but, il était terrifié. Idi lui fit un grand signe de la main pour le presser.

Il descendit la rejoindre, en prenant son temps pour descendre cette même colline rocailleuse. Idi l'attendait devant l'entrée d'une grotte à demi submergée sous l'eau. Ils allaient devoir entrer là-dedans ? Boss se demanda encore plus inquiet. Il n'avait pas peur de se noyer, pas avec Idi à ses côtés, mais cet endroit lui filait la chair de poule. Le vent en s'échappant de la grotte poussait un hurlement fantomatique qui ne l'encourageait pas à entrer.

Idi sentant son hésitation lui prit la main. Boss la regarda toujours pas très rassuré, mais il se laissa néanmoins guider à l'intérieur. Ils avaient de l'eau jusqu'à la taille. Il la laissa le guider dans l'obscurité. Son cœur battant la chamade. Si elle lâchait sa main, il ne retrouverait jamais la sortie. Ils étaient dans le noir complet. Un silence pesant les entourait. Seuls les mouvements de l'eau autour d'eau résonnaient. Il serra la main d'Idi un peu plus fort. Si elle était aussi terrifiée que lui, elle le cachait bien. Elle continuait de le guider en silence. Il songea un instant si elle pouvait voir dans le noir, il ne lui avait jamais posé la question. Finalement, il ne savait pas grand-chose de sa vraie nature et de ce dont elle était capable.

Après quelques minutes où il crût qu'il allait bien finir par se noyer, le niveau de l'eau était passé de sa taille à son menton, il aperçut enfin une lumière au loin. Un faible faisceau blanc, dont la lumière vacillait dans l'obscurité. Idi lui serra la main pour le rassurer et le guida vers la lumière. Ils arrivèrent à une plateforme de roche et sortie de l'eau. Boss poussa un soupir de soulagement. Peut-être qu'il n'allait pas se noyer finalement.

Ils étaient au centre de la grotte. Une large plateforme taillée directement dans la roche leur permettait de rester au sec. Une ouverture parfaitement circulaire avait été taillée au plafond et laissait entrer les rayons de la lune. Idi leva les yeux au-dessus d'elle avant de dire :

« Nous n'avons pas beaucoup de temps. » 

Boss pouvait voir la Lune s'aligner parfaitement avec l'ouverture du plafond, et éclairer une piscine d'eau naturelle placée directement en dessous. Le rond parfait de la Lune commençait à se refléter au milieu de la piscine. Il devina qu'il allait devoir retourner dans l'eau pour achever le rituel. L'eau de la piscine scintillait à la lumière de la lune de façon surnaturelle, reflétant des rayons blancs sur la roche tout autour d'eau. Des flammes brûlaient le long des murs rocheux. Ce qui alimentait ces feux dans cette grotte humide, était un mystère.

Il était infiniment reconnaissant de ne plus être dans le noir complet, mais cet endroit avait quelque chose de dangereux. Il pouvait le sentir dans tout son être. Seuls des êtres surhumains et surnaturels auraient pu construire un endroit pareil.

Idi lui avait expliqué qu'il s'agissait d'un temple créé par son peuple et dédié à cet être omniscient qu'ils appellent Mère.

En inspectant la grotte, il avait d'abord été soulagé de constater l'absence d'autel de sacrifices. Il comprenait maintenant que la piscine en plein milieu de la pièce était l'équivalent de l'autel, et il allait devoir y entrer. Idi appelait cet endroit un lieu sacré, mais il n'y voyait qu'une grotte étrange. Des stalactites descendaient du plafond en une parfaite ligne droite, formant des colonnes éparpillées sans ordre ni organisation. Il n'y avait ni statues, ni sculptures indiquant qu'ils étaient dans un temple.

Boss n'était pas croyant, mais depuis qu'ils étaient entrés dans ces lieux, un silence épais les accompagnait et il pouvait sentir une présence avec eux. Leur pas léger résonnait avec une telle ampleur qu'il se sentait comme un intrus. Tout en lui criait qu'il ne devrait pas être là, qu'il devrait immédiatement fuir, mais partir voulait dire abandonner Idi, et ça il s'y refusait. Il ne pouvait plus faire demi-tour, il irait jusqu'au bout. Idi s'arrêta au pied de la piscine et admira en silence les scintillements colorés de l'eau. Elle lui avait expliqué que le lieu était sacré et il osait à peine respirer. Il garda une certaine distance, attendant de savoir ce qu'il devait faire. Une peur soudaine le saisit.

« Idi », il l'appela doucement.

Elle se retourna vers lui.

« Est-ce que je vais mourir ? », il demanda d'une voix tremblante.

Elle le regarda tristement avant de répondre :

« Je ne sais pas, Tom »