Chapitre 3

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Il était 9 h passées et le cirque était regroupé sous la tente de la mère Francine, la cuisinière attitrée. Cette bonne vivante de plus de 60 ans s'occupait de chaque membre de la troupe comme s'ils étaient ses propres enfants. Pas un jour, elle ne manquait de leur préparer un copieux petit déjeuner, déjeuner et diner. Depuis les débuts du cirque Rossolini, la tente de la mère Francine était le point de ralliement pour tous. À n'importe quelle heure de la journée, si vous aviez un petit creux, vous pourriez être sûre de trouver de quoi satisfaire une fringale chez la mère Francine. À chaque camp qu'ils établissaient, la mère Francine montait sa cuisine sous une large tente prévue à cet effet, adjacente à sa caravane, et y alignait plusieurs tables. Une fois installée, elle ne quittait plus sa tente, ni les fourneaux. Sa réputation était telle, que certains visiteurs du cirque venaient uniquement pour manger dans son restaurant improvisé. Son rôle était de nourrir tout ce qui était capable de manger et elle se faisait un devoir sacré de s'exécuter.

Aujourd'hui, l'ambiance sous la tente était très différente. Un nouvel engouement la traversait sous la forme d'un murmure assourdissant. Voilà à peine 30 minutes que Stefano était revenu de la roulotte de Boss, et déjà le cirque entier était au courant de la mystérieuse jeune femme qui lui tenait compagnie. Seul Hortensia et Maitre Pelli, qu'elle avait informé presque immédiatement, étaient au courant de l'identité de la nouvelle venue. C'est dans cette atmosphère étrange qu'Othello arriva, la tête encore embuée par le sommeil. Il s'assit lourdement à côté de Maitre Pelli. La différence de taille entre le géant et le petit homme avait de quoi faire rire, mais personne n'y prêtait attention. Othello aimait la compagnie de Maitre Pelli. Il avait toujours les choses les plus intéressantes à raconter, soit sur un livre qu'il avait lu, ou sur une discussion qu'il avait eue avec un visiteur du cirque. Othello ne savait pas lire. Bien que Maitre Pelli se démenait pour lui apprendre, il préférait entendre les histoires directement de la bouche du Maitre. Il avait un talent pour donner vie à chacun de ses mots.

« Qu'est-ce qu'il se passe ce matin ? Tout le monde a l'air très animé. », demande Othello tout en se servant une large tasse de café.

Autre détail important, la table de Maitre Pelli avait toujours le meilleur café. Le fameux café de Maitre Pelli dont lui seul tenait la recette. Ce dernier avait une façon particulière de le préparer, lui donnant des notes de chocolat et de réglisse amer. Othello en raffolait et il n'était pas le seul. Maitre Pelli, après de nombreuses demandes, en fournissait en large quantité à la mère Francine qui en gardait au chaud en permanence, mais le café à sa table restait toujours le meilleur.

« Oui, en effet, tout le monde est très animé ce matin. », répondit Maitre Pelli, un sourire aux lèvres.

Hortensia se mit à glousser d'excitation en plongeant sont nez dans son café. Othello leur jeta un regard interrogateur avant de hausser les épaules. Cela faisait presque trois mois qu'ils étaient revenus de leur expédition en Sicile et Maitre Pelli commençait à perdre espoir qu'elle ne reviendrait jamais. Chaque jour, l'humeur de Boss semblait s'assombrir un peu plus. Ils avaient dû quitter l'Italie en hâte et c'était installé dans le sud de la France. D'abord, à Nice pour quelques semaines, puis Cannes, Marseille, Montpellier pour finalement s'arrêter à Perpignan, non loin de la frontière espagnole, leur prochaine destination.

À Chaque étape, ils s'installaient le plus près possible de la mer et tous les soirs, Boss s'installait sur la plage et passait des heures à scruter l'horizon jusqu'à ce que le soleil se couche. Maitre Pelli n'avait pas vu Boss comme ça depuis des années. Depuis la première fois qu'elle l'avait quitté. Boss avait alors seulement 18 ans et Maitre Pelli tout juste 24 ans. Ils ne connaissaient Idi que depuis quelques mois, mais ces quelques mois avaient suffi à Boss pour le rendre complètement fou de la jeune femme. 

Maitre Pelli devait admettre que lui aussi était rapidement tombé sous son charme. Contrairement à Boss, il n'avait jamais pensé qu'une jeune femme d'une telle beauté puisse s'intéresser à lui, et en effet, elle avait presque immédiatement jeté son dévolu sur Boss. Maitre Pelli les avait vus tomber amoureux et puis, après son départ, le chagrin de Boss. Ce dernier n'avait pas cru qu'elle reviendrait, et pourtant elle avait tenu sa promesse, cette fois-là, et toutes les fois d'après. Boss n'avait alors plus eu peur de la voir partir, il savait qu'elle revenait toujours. C'est quand elle n'est pas revenue la dernière fois, après son mois habituel d'absence, que Maitre Pelli su que quelque chose de grave était arrivé. 

Après trois mois sans la voir, ils se décidèrent à se lancer à sa recherche, mais comment trouver une aiguille dans une botte de foin ? Ou un poisson en particulier dans le vaste océan. Il leur avait fallu presque un an pour la trouver. Ils avaient suivi de nombreuses pistes et rumeurs, mais aucune des prétendus sirènes pêchée et empaillée étaient réelles. Devoir marcher dans un énième de ces musées proclamant avoir dans leur collection le corps d'une vraie sirène était une torture. Il ressentait d'abord un soulagement en constatent que ce n'était pas son corps qui était exposé dans chacun de ces musées miteux, mais un cadavre d'otarie déformé ou celui d'une momie affublée d'une queue de dauphin. Puis, le désespoir le gagnait de nouveau, comprenant que leur calvaire n'était pas terminé, et qu'ils devaient de nouveau se relancer dans cette recherche désespérée. 

Dans chaque ville et port où ils s'installaient, il allait, toujours accompagné d'Othello et de Louis, dans tous les bar et bistrots demandé aux locaux s'ils avaient jamais vu ou entendu parler d'une sirène. On le prenait toujours pour un fou, ou un riche excentrique accompagné de ses hommes de main. Simple curiosité scientifique, il leur expliquait. 

C'est quand il commençait à perdre espoir qu'il entendit la première rumeur de sa présence. Un marin arrêté à Naples pour quelques nuits, se vantait d'avoir vu et toucher une véritable sirène. En chair et en os, et en vie. Même sans alcool, il n'était pas difficile d'extraire des informations de ce marin un peu trop bavard, mais après quelques verres, il lui proposa même de l'y emmener. C'est ainsi, qu'il prit le premier bateau en direction de Palerme accompagné de Boss, Louis et Othello, laissant derrière eux le cirque et espérant que cette fois, ils la trouveraient pour de bon. 

Le Cirque RossoliniOù les histoires vivent. Découvrez maintenant